Une idée gagnante : Revigorer les fermes du Bangladesh par l'agrotechnologie
Pour réduire la pauvreté, renforcer la sécurité alimentaire et lutter contre les effets du changement climatique dans son pays d'origine, le Bangladesh, Mashrur Hossain mise sur la technologie.
Découvrez la solution amenée par ce jeune ingénieur qui exploite l'intelligence artificielle (IA) et pourrait changer la vie de millions de petits exploitants agricoles, et pas seulement au Bangladesh.
Être agriculteur peut parfois être frustrant : un travail acharné, peu de reconnaissance et des bénéfices limités. L'agriculture n'est pas toujours une sinécure, à tel point qu'il n'est pas inhabituel de voir certains quitter le secteur, pour ne jamais y revenir.
Les parents de Mashrur Hossain ont franchi le pas il y a longtemps. Bien entendu, il n'a jamais été question que leurs enfants s'y engagent, puisque le secteur n'avait pas d'avenir.
Il a fallu du temps à Mashrur pour comprendre la décision de ses parents. Ce n'est qu'après ses études d'ingénieur, lorsqu'il a commencé à travailler pour le gouvernement que les raisons de leur choix lui sont apparues clairement.
Les agriculteurs sont confrontés à une insécurité financière permanente et écrasante : entièrement dépendants de leurs récoltes, ils risquent chaque année de se retrouver sans aucun revenu si elles sont mauvaises. Pour Mashrur, cette situation doit changer.
Au Bangladesh, l'agriculture est le principal secteur pour l'emploi. Il occupe 46 % de la population active et compte près de 16 millions de petits exploitants agricoles. Il constitue de fait une priorité pour le gouvernement, notamment en matière de sécurité alimentaire et de prévention de la faim.
Selon Mashrur, cette énorme main-d'œuvre a du mal à saisir la nature changeante des sols, l'influence des conditions météorologiques et les fluctuations des marchés. Les effets du changement climatique compliquent encore la situation, avec l'irrégularité des conditions météorologiques qui devient la norme.
« Pour le dire de manière simple, ils n'ont pas accès aux formations et aux données exploitables qui leur permettraient de gagner décemment leur vie. Ils demeurent donc coincés dans cette insécurité, vulnérables et tentés d'abandonner cette profession traditionnelle. »
Résolu à résoudre le problème, le jeune homme quitte en 2015 son emploi au ministère des affaires étrangères, pour créer à 24 ans sa société d'ingénierie en recherche et développement, qui deviendra rapidement une entreprise à portée mondiale.
Son idée est simple et ingénieuse : connecter les agriculteurs à l'écosystème pour qu'ils accèdent à des données exploitables au bon moment et ainsi prendre des décisions éclairées.
En 2019, ce passionné d'agroalimentaire fait une percée avec le développement d'iPAGE, un fournisseur technologique local qui répond aux défis auxquels les agriculteurs sont confrontés. Cette solution numérique fournit des services de conseil personnalisés en fonction du lieu et du type de culture, ce qui permet aux petits exploitants agricoles d'améliorer leur productivité.
Au tout début, iPAGE est une start-up spécialisée dans les technologies de l'information agricole, fournissant des conseils sur la base de l'analyse électronique des sols et des conditions météorologiques.
« Nos agriculteurs sont face à trois difficultés interconnectées : le manque de connaissances sur l'agriculture et les technologies modernes, le manque d'informations sur la demande du marché et le manque d'accès aux produits et services (capital, intrants, assurance, acheteur, etc.). Nous avons rapidement réalisé que pour aider nos agriculteurs à accéder à moindre coût à des capitaux, à des assurances, à des intrants et un à réseau d'acheteurs, il suffisait de leur fournir la connectivité et les données nécessaires pour y parvenir. »
« Nous avons donc établi un partenariat avec des fournisseurs d'intrants enregistrés, des banques, des institutions financières non bancaires et des organisations non gouvernementales locales afin de les mettre en relation avec ces acteurs de l'écosystème de l'industrie agricole, le tout par le biais d'une approche axée sur les données. »
Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé en mars 2020, la perturbation de la chaîne d'approvisionnement alimentaire nationale a été catastrophique, notamment en raison de l'accès plus difficile aux intrants indispensables et à l'augmentation des coûts. Pour Mashrur, à ce moment-là, l'urgence de la situation était flagrante : il fallait absolument aider les agriculteurs à mobiliser leurs produits pour le marché local et à réorganiser leurs pratiques culturales en fonction des besoins des consommateurs frappés par la pandémie.
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Mashrur et son équipe ont alors mis au point un système d'information agricole basé sur l'IA : en plus de proposer des analyses de sol et des conseils, le système permet à présent aux agriculteurs d'entrer en contact avec les acheteurs du marché, les banques, les assureurs, etc., ce qui donne aux agriculteurs les moyens de gérer efficacement leurs récoltes et d'améliorer leur potentiel de profit.
Comment ? L'intelligence artificielle génère des données et des analyses exploitables pour l'agriculteur, par exemple en déclenchant des appels vocaux ou des messages textuels automatiques adaptés à la parcelle de l'agriculteur. Cette grande quantité de données agricoles permet ensuite de mettre les agriculteurs en relation avec des fournisseurs et des prestataires de services. Jusqu'à présent, iPAGE a aidé plus de 10 000 agriculteurs.
« Supposons que 3 000 agriculteurs cultivent du piment, une culture très sensible aux conditions météorologiques. Chaque fois que nos stations météorologiques déployées détectent un paramètre météorologique, un message de prévision est envoyé aux agriculteurs concernés, leur indiquant exactement ce qu'ils doivent faire.
Cela rend leur prise de décision rapide et précise, ce qui serait impossible avec un système humain. »
Après quatre années de tests, Mashrur a remarqué des changements quantifiables et de nouvelles habitudes : les agriculteurs adoptent des cultures en fonction des sols, ce qui leur permet d'être florissantes ; l'utilisation d'engrais a chuté de 40 %, ce qui a permis de réduire les émissions de CO2 de 2 millions de kg ; enfin, les agriculteurs ont constaté une augmentation des rendements de plus de 12 % et une augmentation des ventes de près de 20 % pour les partenaires fournisseurs d'intrants et de machines.
À la tête d'une équipe de 32 employés, le jeune homme est convaincu que cette approche holistique est devenue essentielle pour résoudre les problèmes de l'industrie agricole du Bangladesh.
« Nous nous efforçons de faire évoluer l'ancien paradigme de notre secteur agricole vers un nouveau, dans lequel nos agriculteurs réaliseront davantage de bénéfices tout en luttant contre les effets changement climatique. »
Il reste de nombreux défis à relever – trouver des partenaires locaux crédibles et solidaires pour mobiliser les agriculteurs est l'un d'entre eux.
« Par ailleurs, les agences gouvernementales ne disposent d'aucune politique pour tirer parti des technologies développées par le secteur privé et capables d'appuyer les agriculteurs. Cette lacune politique constitue un autre défi. »
Mashrur s'appuie sur des organisations non gouvernementales (ONG) et des concours, tels que les Prix des jeunes écopreneurs du Centre du commerce international, pour sensibiliser le public. Par suite de sa victoire aux Prix, remis en Mongolie à l'été 2023, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a aidé iPAGE à déposer plusieurs demandes de droits de propriété intellectuelle.
« La participation à ces concours internationaux peut déboucher non seulement sur des financements, mais aussi sur des ressources stratégiques, des partenariats, et simplement porter notre parole dans les bonnes oreilles. »
Mashrur nourrit de grandes ambitions : son objectif est de capter 5 % des petits exploitants agricoles du pays d'ici à 2025. Plus il y a d'agriculteurs, plus il y a de données ; plus il sera possible d'apporter de la précision aux agriculteurs ainsi qu'à tous les acteurs essentiels de l'écosystème, tels que les acheteurs, les banques et les assureurs.
« Nous prévoyons également de mettre davantage l'accent sur la protection de notre propriété intellectuelle.
Nous avons plusieurs innovations qui pourraient offrir des solutions aux agriculteurs et aux acteurs de l'écosystème au-delà des frontières du Bangladesh. La qualité de la livraison pourrait se détériorer si elle n'est pas protégée. »
À long terme, grâce à iPAGE, Mashrur souhaite faciliter au moins 10 % de la production de la demande intérieure de céréales du Bangladesh, tout en envisageant de devenir une unicorne d'impact en Asie du Sud-Est d'ici 2028. Un objectif noble qui vaut la peine d'être poursuivi !
- Faites-vous entendre et parlez de vos besoins. Personne n'appréciera et ne comprendra ce que vous faites si vous ne communiquez pas clairement.
- Soyez honnête avec vous-même. Quelle est votre motivation ? Personne au monde mieux que vous ne peut vous inspirer, vous devez vous écouter vous-même.
- Prenez le risque. Sortez de votre zone de confort et ne craignez jamais d'échouer. Sinon, il n'y a pas aucun plaisir à gagner !
En remportant les Prix des jeunes écopreneurs du Centre du commerce international dans la catégorie de la restauration des terres, l'entreprise bangladaise a reçu un financement de démarrage de 5 000 dollars et bénéficiera d'un appui au renforcement des capacités pour développer ses activités. Les prix sont offerts par le Centre du commerce international, l'Initiative foncière mondiale du G20 de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, le programme Startups for Sustainable Development de Google et le cabinet d'avocats multinational Sidley Austin.