

Démystifier la mode éthique avec Stella Jean
Le Forum du commerce international discute mode et développement avec la styliste italo-haïtienne Stella Jean, et aborde son passage des passerelles à la planche à dessin
Forum du commerce: vous avez commencé
comme mannequin avant de
passer à la création de vêtements et
accessoires. Pourquoi avez-vous changé
d'orientation?
STELLA JEAN: Au début, j'ai travaillé
de l'autre côté de la barrière comme mannequin,
mais très vite j'ai compris que ma
vraie vocation était du côté créatif, en tant
que styliste. J'étais au bon endroit, mais pas
à la bonne place. Je ne regrette pas mon
passé de mannequin, car il a contribué
à faire de moi ce que je suis. Ma passion
pour la mode vient du besoin de trouver ma
propre manière de m'exprimer. La mode est
le moyen de communication le plus authentique,
à travers lequel j'ai pu exprimer et
résoudre le sentiment d'inadéquation qui
m'a guidée les premières années de ma vie.
TF: FC: Comment travaillez-vous avec
les personnes et les communautés dans
les PED?
SJ: Il s'agit d'artisanat de luxe produit
de manière éthique par les communautés
défavorisées, créant des emplois et une
infrastructure où le commerce de la mode de
luxe peut se développer et produire. Grâce
à mes contacts, j'ai trouvé un trésor rare
dans les mains de femmes extraordinaires
qui racontent, avec dignité et beaucoup de
travail, une mosaïque culturelle et créative
sans aucune sorte de mystification.
Ce sont d'excellentes tisserandes,
capables de créer des tissus exquis. Des gens
que j'ai rencontrés lors de mes voyages, dans
leurs villages, m'ont montré qu'il existe un avenir durable pour la mode. Aujourd'hui,
l'artisanat exprime un nouveau concept de
mode lente et de luxe responsable. Mais
le changement doit d'abord s'opérer dans
chacun de nous, dans nos esprits. C'est une
question de choix, d'information, de diversité
et, en même temps, d'identité culturelle.
Cela peut englober toutes les étapes: la création,
la production et la consommation.
FC: Quel est l'impact de votre travail
sur les vies des personnes avec
lesquelles vous travaillez dans le cadre
de l'Initiative pour la mode éthique de
l'ITC?
SJ: 'Pas de charité, juste du travail'
est le slogan de l'Initiative pour la mode
éthique (EFI) de l'ITC, que je soutiens pleinement.
Il s'agit de gérer une entreprise de
manière correcte, durable et respectueuse de l'environnement. Il s'agit de promouvoir
un développement économique durable et
des opportunités d'affaires dans des pays qui
n'ont pas besoin de charité.
FC: Comment vos origines haïtiennes
ont-elles influencé votre travail
dans la mode et votre collaboration avec
l'EFI?
SJ: Mes origines m'ont toujours grandement
inspirée, et Haïti étant ma deuxième
maison, c'est comme s'il faisait partie de
mon ADN. Lorsque j'ai visité Haïti pour la
première fois, le pays n'était pas encore un
centre de production, mais l'ITC avait une
équipe de professionnels sur place pour gérer
les groupes communautaires d'artisans.
Grâce à ma collection SS2015 et au soutien de l'ITC, nous avons pu connaitre l'art naïf traditionnel haïtien, découvrir ce rare trésor d'artisanat de qualité et avoir l'occasion de créer ces pièces en collaboration directe avec les artisans locaux. Les fruits en papier mâché sont produits à Jacmel, capitale culturelle d'Haïti et berceau du plus grand carnaval du pays, pour lequel les artisans locaux créent masques et décors colorés en papier mâché.
Les bracelets en corne sont produits à l'atelier de Port-au-Prince par environ 50 artisans spécialisés en matériaux tels que corne et os. Ce sous-produit animal est lavé, coupé, façonné et poli à la perfection pour aboutir à une surface douce et brillante. La collection de bijoux en fer forgé a été produite dans différents ateliers qui font partie d'une grande communauté d'artisans fabriquant des bijoux en métal à Croix-des-Bouquets, en périphérie de Port-au-Prince. Là-bas, les forgerons locaux ont forgé pendentifs et bracelets à partir de bidons d'huile recyclés en utilisant simplement un marteau et leur force physique pour réaliser la création.
FC: D'où vient votre inspiration?
SJ: Des femmes de ma famille. Je puise
mon inspiration dans ma propre histoire.
Mes racines et mon histoire ont toujours
joué un rôle dans mon travail. C'est pourquoi
j'ai décidé de matérialiser mon
expérience personnelle en mélangeant une
chemise de mon père pour symboliser mes
racines européennes et des tissus africains
qui représentent mes racines africaines
d'Haïti, l'île où est née ma mère, première
république noire indépendante du monde.
Quand j'ai mis ces deux éléments ensemble j'ai enfin obtenu ma 'Wax & Stripes Phylosophy', dans laquelle les motifs africains font référence aux racines haïtiennes de ma mère et les bandes masculines à mon père, qui est italien. Ma force a été de raconter une histoire vraie, authentique, pour la première fois.
FC: Comment pensez-vous que la
mode peut changer la vie des gens?
SJ: Cela ne sera pas facile ni rapide,
mais je crois que chaque personne prend
conscience qu'un changement vers cette
approche est opportun, inévitable et nécessaire.
Comme l'a dit la [Directrice exécutive
de l'ITC] Arancha González à l'occasion de
l'évènement 'Le pouvoir des femmes autonomes
en 2014' aux Nations Unies à Genève:
'Vous ne pouvez pas changez ce que vous
ignorez, mais une fois que vous l'avez compris,
vous ne pouvez pas vous soustraire au
changement.'
J'aimerais réussir à faire en sorte que les
gens comprennent que chaque personne a
[sa] propre dignité et mérite d'être respectée
et non pas tolérée. Vous pouvez tolérer un
mal de ventre, pas une personne!
FC: Quel est le programme/visite
de l'EFI qui vous a le plus impressionné
et pourquoi? Quelle est l'influence de
l'EFI sur votre carrière dans la mode et
sur vos créations?
SJ: Tout a commencé grâce à mon mentor
Simonetta Gianfelici [représentante de
la marque Altaroma pour l'Initiative pour la mode éthique] qui m'a présenté Simone
Cipriani (qui dirige l'initiative de l'ITC).
Avec Simone, c'était le coup de foudre.
C'est un homme charismatique avec une
grande empathie et de grandes idées. J'ai vu
ses idées prendre forme devant mes yeux.
Il est aussi créatif que pragmatique. Il m'a
donné les outils pour réfléchir au-delà de
l'esthétique.
FC: Quels sont vos espoirs pour
l'avenir? Comment envisagez-vous que
la mode continue à changer la vie des
gens?
SJ: Si nous pouvons mélanger, dans un
vêtement, des éléments des cultures les plus
diverses et les plus éloignées avec un résultat
satisfaisant, nous pouvons adopter cette
juxtaposition de cultures dans la vraie vie.
Avec mon travail, j'offre un point de vue, qui
est le mien; j'espère que d'autres le partageront
à l'avenir. Si j'arrivais à toucher le coeur
d'une seule personne, à faire comprendre
aux gens dans quelle direction je pense que
nous devrions aller, ce serait déjà un grand
accomplissement personnel.