Discours

Tourisme : penser en termes de durabilité, penser en termes de commerce international – Remarques de la Directrice exécutive de l'ITC

16 septembre 2015
ITC Nouvelles
Événement spécial de l'OMT sur le financement d'un tourisme en faveur du développement

Mesdames et Messieurs,

Je suis ravie d'être ici, et de pouvoir vous annoncer le partenariat que le Centre du commerce international (ITC) lance aujourd'hui avec l'Organisation mondiale du tourisme (OMT), sur un sujet qui était au centre des discussions d'aujourd'hui, à savoir l'Aide pour le commerce au service du tourisme international. Comme nous l'avons évoqué, le tourisme international est une source potentielle importante de financement, qui permettrait d'optimiser le potentiel de développement du tourisme.

Je suis fière de présenter notre nouvelle publication conjointe, Tourisme et commerce : Un programme mondial pour un développement durable. Comme l'indique la publication, le tourisme international est un commerce international.

Et le commerce international est un moteur majeur de la croissance et de la création d'emplois dans les pays en développement. C'est pourquoi parmi les missions de l'ITC figure l'autonomisation des petites et moyennes entreprises (PME), pour qu'elles deviennent plus compétitives et se relient aux chaînes de valeur internationales.

Comme le sommet des Nations Unies à Addis Abeba sur le Financement pour le développement l'a clairement montré cet été, le financement du développement repose sur trois piliers : la solidarité internationale, sous la forme d'une assistance au développement ; la mobilisation des ressources nationales, ce qui comprend la collecte des revenus, avec la lutte contre les flux financiers illicites ; et le pouvoir du secteur privé.

Les données indiquent clairement que le premier pilier ne contribue pas suffisamment au tourisme.
Prenons quelques chiffres.

Le tourisme compte directement ou indirectement pour près de 10 % du PIB mondial, et un emploi sur onze dans le monde entier. Le tourisme international n'est qu'une partie de cet ensemble, mais en 2014 il a généré $E.-U. 1,25 milliards en recettes du tourisme dans les pays de destination, et $E.-U. 220 milliards en transport de passagers. Le tourisme international génère 30 % des exportations mondiales de services, et 6 % des exportations combinées de produits et services.

Pour plusieurs pays en développement, et en particulier pour les petits États insulaires en développement (PEID) des Caraïbes et de la région Pacifique, et les pays les moins avancés (PMA) que sont le Burkina Faso, le Cambodge, le Rwanda, le Népal et la République-Unie de Tanzanie, le tourisme constitue la principale recette des exportations. Pour de nombreux autres pays, il constitue des recettes importantes en devises étrangères. Si nous considérons les pays en développement dans leur ensemble, le tourisme génère plus d'exportations que les autres secteurs, exceptés pour les hydrocarbures, l'alimentaire, et les textiles et habillement. Même pour les pays à faibles revenus où le tourisme ne compte que pour une part plus modeste de la production, comparée à celle du monde pris dans son ensemble, il participe tout de même à hauteur de 4 % du PIB.

Et pourtant, le secteur du tourisme est sous-représenté dans l'Aide pour le commerce. Sur la période de 2006 à 2013, seuls 0,4 % des flux totaux de l'Aide pour le commerce ont été dédiés au développement du tourisme.

On pourrait penser que c'est normal dans la mesure où ce secteur rapporte déjà $E. U. 500 milliards de revenus et représente des centaines de milliers d'emplois dans les pays en développement, ce qui devrait encore croître à un taux annuel de 4 % d'ici à 2030.

Mais le fait est que la tendance au statu quo de l'investissement ne permet pas de garantir que la croissance économique générée sera aussi inclusive. Les investisseurs étrangers n'investiront pas nécessairement pour développer les liens en amont vers les achats d'aliments ou de boissons, les produits locaux, ou le tourisme culturel, activités qui pourtant ont des effets indirects pour les communautés locales et que permet le développement du tourisme. Les gouvernements des pays en développement peuvent se montrer réticents à assurer la promotion active de tels liens, par peur de dissuader les investisseurs potentiels. L'Aide pour le commerce a donc un rôle unique à jouer pour catalyser un impact d'inclusion majeur pour chaque centime investi dans le tourisme.

Plus que la plupart des secteurs, celui du tourisme contribue à l'emploi des femmes et des jeunes. Il représente une source d'emplois à haute productivité et de revenus pour les communautés. Comme nous l'avons vu, il a le potentiel de se lier étroitement aux autres secteurs. Pourtant, l'énorme potentiel de développement du secteur du tourisme est trop souvent négligé, ou marginalisé. Nous avons pu le constater dans notre propre travail à l'ITC. Nous avons collaboré avec des partenaires en Ouganda, au Sénégal, en Gambie, au Tadjikistan et dans d'autres pays encore, pour développer des projets dédiés à la création d'emplois, à l'amélioration des performances des PME du secteur du tourisme, et à accroître les revenus. Mais de nombreux projets de ce type sont souvent considérés comme moins prioritaires par rapport aux autres secteurs, même lorsque ces derniers ont un impact cumulé de moindre importance sur l'économie.

Comment pouvons-nous aider à libérer tout le potentiel du tourisme ? La modification de la manière dont il est perçu est essentielle pour mettre en valeur son potentiel en tant qu'outil de développement. Bien souvent, il s'agit simplement d'un manque de connaissance de la capacité à contribuer et du potentiel de ce secteur.

Toutefois, au-delà de ce fait, il s'agit d'identifier les priorités stratégiques, et de développer et mettre en œuvre des programmes d'action clairs et pertinents. Cela exige en retour des structures de gouvernance et des processus d'appui au tourisme efficaces, réactifs et engagés. Le secteur privé et les autres parties prenantes doivent être pleinement impliqués aux côtés des gouvernements.

Un tel engagement réclame d'être informé de tous les faits pertinents, et de définir des objectifs à la fois ambitieux et réalistes, pour une croissance inclusive menée par le tourisme. En partenariat avec l'OMT, nous travaillons à en faire une réalité.

Quels sont les éléments essentiels sur lesquels nous pouvons travailler ?

Premièrement, il faut considérer le tourisme sous l'angle du commerce et des chaînes de valeur pour examiner et comprendre les possibilités qu'il offre. Le document conjoint de l'ITC et de l'OMT montre quelles sont les étapes d'un voyage touristique au cours desquelles les transactions internationales interviennent, et présente les liens entre la chaîne de valeur du tourisme et un large éventail d'activités commerciales et de sujets politiques. Ces liens montrent la complexité, mais aussi le potentiel du tourisme en matière de développement économique.

Il faut que la communauté des politiques commerciales comprenne que le tourisme ne se réduit pas aux services hôteliers et aux investissements étrangers directs (IED) selon l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est aussi une question de transports, de services financiers, d'assurances, de construction, d'eau et d’assainissement, de transformation alimentaire, et bien plus encore. Les règles de l'OMC en matière de commerce des marchandises déterminent, par exemple, si les hôtels peuvent accéder aux biens extérieurs pour améliorer leur efficacité énergétique. Les politiques d'investissement et en matière de visas ont également un impact énorme sur le tourisme. L'offre de libéraliser le commerce de services touristiques des PMA, dans le cadre de la dérogation des services des PMA, constitue un développement récent et intéressant dans ce domaine.

Deuxièmement. Libérer le potentiel du tourisme demande des stratégies qui vont au-delà des plans directeurs traditionnels de ce secteur, afin d'inclure des dimensions politiques qui s'inscrivent dans le champ du commerce international et des IED. De plus, ces stratégies doivent identifier les actions requises au niveau national et celui des entreprises pour améliorer l'environnement des affaires du secteur du tourisme. Pour insister sur l'aspect de commerce international du tourisme, de telles stratégies pourraient être des Stratégies d'exportation du tourisme, un terme qui reconnaît explicitement l'objectif d'intégration dans les marchés internationaux. L'ITC a développé de telles stratégies au Myanmar, au Kirghizistan, en Palestine et dans d'autres économies.

Troisièmement. Un meilleur appui à la collecte des données et leur analyse est nécessaire. Des informations statistiques sur les multiples aspects du secteur du tourisme sont essentielles pour faire progresser les connaissances, suivre les progrès, promouvoir une gestion axée sur les résultats, et soulever les problèmes stratégiques qui réclament des décisions politiques. Il existe déjà de nombreux exercices pertinents et en cours de collecte de données pour l'industrie du tourisme. L'OMT a fait un travail admirable pour améliorer le recueil de statistiques sur le tourisme et le Compte satellite du tourisme (CST). En se basant sur son travail d'analyse des mesures non tarifaires à l'égard des biens, l'ITC va développer une enquête sur les barrières au tourisme afin d'appuyer les responsables politiques dans leurs prises de décision en lien avec les réglementations et les politiques commerciales en matière de tourisme.

Quatrièmement. Il faut renforcer les institutions spécialisées qui appuient les PME. Considérant la forte proportion de petites et moyennes entreprises œuvrant dans le secteur du tourisme, les gouvernements doivent renforcer les mécanismes de dialogue et de consultation avec le secteur privé, et les mécanismes d'appui aux PME. Les coalitions des industries de services (CIS) peuvent constituer des véhicules importants pour représenter les problèmes du secteur des services lors des processus de consultation des parties prenantes multiples. Les expériences récentes de l'ITC à Sainte-Lucie ont constaté comment les CIS se sont penché sur les principaux problèmes de l'industrie du tourisme, comme celui des demandes irrégulières et saisonnières.

Cinquièmement. Comme je l'ai déjà mentionné, il est impératif de se concentrer sur l'inclusion et la rétention des valeurs ajoutées locales. Nous devons examiner les liens potentiels entre les développements du tourisme et les valeurs ajoutées locales, et chercher à rendre ces offres plus compétitives. Cela va de l'artisanat aux vêtements et accessoires, aux aliments locaux, aux fleurs et autres services encore. L'ITC travaille avec le secteur horticole de la République-Unie de Tanzanie, le secteur alimentaire du Myanmar, et divers secteurs agricoles et alimentaires aux Fidji, pour améliorer la qualité, les volumes et l'addition de valeur des aliments fournis au secteur hôtelier.

Enfin, il faut aussi mener des campagnes conjointes de sensibilisation sur l'importance du tourisme. C'est ce que nous faisons aujourd'hui. Grâce aux efforts de nombreuses personnes présentes dans cette salle, l'information se répand selon laquelle le tourisme possède un potentiel de développement énorme, encore non exploité à ce jour. Il est inscrit dans les Objectifs de développement durable. Il apparaît fréquemment dans les cadres internationaux de développement, depuis Rio+20 aux programmes adoptés par les conférences des Nations Unies sur les PMA, les petits États insulaires en développement, et les pays en développement sans littoral. Avec l'Organisation mondiale du commerce, et dans le cadre du dialogue sur les politiques de services à Genève, l'ITC s'est engagé à accroître la connaissance de l'importance du tourisme. Le tourisme sera donc un secteur d'attention lors de notre Forum mondial pour le développement des exportations au Qatar en octobre, forum qui présentera un vaste volet de réunions entreprise à entreprise. Je vous invite tous à nous rejoindre à Doha.

Le tourisme devrait aussi être une priorité de la nouvelle phase du Cadre intégré renforcé (CIR) pour les pays les moins avancés, en faveur duquel vous êtes invités à vous engager lors de la prochaine Conférence ministérielle de l'OMC qui aura lieu à Nairobi, au Kenya, en décembre.

En résumé, nous devons mettre plus de commerce dans la communauté du tourisme, et plus de tourisme dans la communauté du commerce, de manière à produire une synergie de leurs actions et produire une croissance durable et inclusive – exactement comme l'ITC et l'OMT l'ont fait aujourd'hui.

Merci.