Une invasion d'algues dans les Caraïbes mène à une opportunité commerciale mondiale
Andrés Bisonó León, Fondateur et Directeur général de SOS Carbon, a su transformer un problème en opportunité. Il s'attaque avec succès à l'invasion des algues sargasses en République dominicaine, dans sa région natale des Caraïbes, grâce à sa détermination, à son sens de l'innovation et, surtout, à une approche holistique.
Découvrez son invention née de sa passion, qui pourrait bien appuyer la sécurité alimentaire et préserver l'environnement, tout en créant des emplois.
Andrés Bisonó León a grandi dans une famille profondément attachée au bien-être de son pays, la République dominicaine. Son grand-père a créé le premier syndicat de travailleurs du pays et son père a parrainé des écoles dans des communautés marginalisées en tant que projet secondaire. Autant dire que le fait de consacrer son temps et ses connaissances à des projets qui servent le bien commun vient naturellement à Andrés.
Toute son attitude à l'égard de la vie est positive. Pour ce jeune homme de 32 ans, tout dépend de la façon dont nous voyons et abordons les problèmes. Selon lui, les défis sont aussi des opportunités de changement – et de vie meilleure. C'est pourquoi il s'est impliqué dans un programme universitaire visant à promouvoir l'éducation dans les communautés défavorisées et est devenu membre du conseil d'administration de ProHispanica : il lui fallait agir et relever les défis auxquels les gens sont confrontés.
Andrés vient de terminer ses études en génie mécanique et travaille à Philadelphie, aux États-Unis. À l'occasion d'une visite, il prend conscience de l'invasion de sargasses à laquelle son pays est soudain confronté. Il s'agit d'une macroalgue brune qui dérive à la surface des eaux et suit les courants de l'océan Atlantique du Brésil jusqu'aux plages des Caraïbes.
Âgé de 27 ans, le jeune homme contacte alors un vieil ami, un professeur qu'il connaissait au Massachusetts Institute of Technology (MIT), avec lequel il a déjà travaillé sur des projets communautaires et d'emploi en République dominicaine après le passage de l'ouragan Irma qui a dévasté l'île en 2017.
Le professeur pousse Andrés à s'attaquer à ce « problème de mauvaises herbes des mers ».
« Lorsque nous avons commencé nos recherches, nous nous sommes rendu compte que, du point de vue de l'ingénierie, la lutte contre les sargasses était un secteur largement inexploité ».
Le jeune ingénieur, en collaboration avec un étudiant en master au MIT, se met au travail : en mettant à contribution les infrastructures locales, les ressources disponibles et le savoir-faire des pêcheurs, ils développent la technologie et la conception d'un modèle durable qui permet de capter les sargasses en pleines eaux.
La culture des Caraïbes est largement centrée sur la mer, avec une forte dépendance sociale à l'égard des ressources naturelles côtières et marines. La plupart des habitants vivent près des côtes et dépendent fortement des ressources marines pour leur subsistance, basée sur la pêche et le tourisme.
Au fil des ans, les algues sargasses ont proliféré en raison de l'augmentation de la température de l'eau causée par le changement climatique, la pollution côtière et les ruissellements d'engrais. En 2022, les sargasses ont atteint un niveau record de 24 millions de tonnes sur les côtes des Caraïbes.
La République dominicaine, qui se trouve sur une petite île, dépend fortement de sa communauté côtière. Or, la première conséquence constatée par Andrés de l'accumulation des sargasses le long des côtes est l'obstruction qu'elles causent, empêchant le passage de la lumière du soleil, et l'accaparement de l'oxygène, privant les coraux et l'écosystème marin de ces éléments vitaux, ce qui entraîne la mort des poissons et des tortues.
La deuxièmement constatation porte sur les pêcheurs qui peinent à sortir leurs bateaux artisanaux en mer, bloqués par les amas d'algues considérables.
Troisième point, des études portant sur la réduction des stocks de poissons en corrélation avec les sargasses montrent un déclin de la diversité des poissons de 30 à 60 %.
La quatrième constatation est liée à l'accumulation des sargasses sur les rivages : en pourrissant, elles rejettent dans l'atmosphère le carbone et le méthane capturés, ce qui provoque des problèmes respiratoires et augmente les émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, dernier problème, et non des moindres : pour que le tourisme fonctionne, il faut des plages propres.
« Ce qui est pire encore, c'est l'odeur insoutenable des matières organiques qui pourrissent. Même si vous évitez la plage et allez à la piscine, vous n'y échappez pas. »
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« Le cœur de notre approche a été de développer des technologies climatiques robustes et rentables qui non seulement garantissent une solution durable à long terme, mais qui intègrent également la communauté locale. » C'est ainsi qu'à l'issue de ses travaux de recherche et de développement, Andrés a fondé SOS Carbon.
Son équipe a réussi à mettre au point la solution la plus rentable et la moins polluante du marché pour la récolte des sargasses, le module de collecte littorale, appelé LCM (Littoral Collection Module). Entièrement silencieux et simple à installer, le module se monte sur n'importe quel bateau artisanal et permet de collecter les algues avant qu'elles ne touchent terre.
Le système LCM a été déployé et fonctionne déjà dans quatre pays, au service d'un éventail de clients, allant de l'industrie du tourisme et des centrales électriques aux groupes de traitement des algues.
SOS Carbon emploie des pêcheurs locaux pour la récolte, une situation gagnant-gagnant puisque chaque bateau équipé du LCM crée plus de 10 emplois formels. « C'est rentable pour nous et, en même temps, nous tirons parti du savoir-faire des communautés. Elles connaissent les conditions et les lieux – ce sont eux les experts ».
Toutefois, la start-up technologique ne s'arrête pas là.
Andrés était toutefois conscient que la récupération des algues n'était qu'une partie de la solution. Une série de questions restaient en suspens : que faire des algues une fois ramassées ? Comment les éliminer de manière durable ? Est-il même possible de générer des ventes et des emplois à partir de ces algues ? En réponse, SOS Carbon a identifié un écosystème de groupes intéressés par ces grandes quantités d'algues.
« Après la collecte, nous fournissons les sargasses à des tierces parties pour traitement. Nous travaillons avec des organisations internationales qui l'utilisent comme composant dans la fabrication de cosmétiques, de bioplastiques ou encore d'autres produits à valeur ajoutée. Aujourd'hui, nous expédions les sargasses récoltées dans plus de 10 pays. »
En parallèle, SOS Carbon s'est tournée vers l'innovation Blue Tech et a investi dans une nouvelle structure : SOS Biotech. L'entreprise transforme les algues pour créer des biostimulants certifiés biologiques utilisés dans l'agriculture, ce qui lui permet d'encourager une agriculture durable et régénératrice. Par exemple, explique Andrés, en utilisant un extrait à base d'algues appelé Marine Symbiotic, les agriculteurs parviennent à augmenter le rendement de leurs cultures et à améliorer la santé de leurs sols.
« Nous travaillons directement avec les agriculteurs et les groupes industriels, mais notre objectif est de positionner le produit auprès des distributeurs et de rechercher des débouchés auprès des chaînes d'approvisionnement locales et internationales établies. Notre produit a un potentiel de masse. »
Avec l'augmentation des températures et les rejets d'engrais dans les océans, Andrés s'attend à ce que le volume de sargasses augmente au fil des ans. Aujourd'hui, avec chaque système LCM ayant la capacité de récolter 70 tonnes en une seule journée, SOS Carbon récolte plus de sargasses qu'elle ne peut en traiter ou en vendre.
C'est pourquoi, après l'avoir séchée et correctement triée, la start-up la stocke en vue de la transformer ou de la fournir à des partenaires en dehors des saisons de récolte.
« Nous aimerions augmenter la production de nos biostimulants, ce qui permettrait de mieux lutter à la fois contre la crise des sargasses et l'insécurité alimentaire dans le monde. Nous sommes heureux d'avoir pu développer une opération durable avec des clients à chaque étape de la chaîne de valeur, et fiers que SOS Biotech, en tant que membre de l'équipe MIT Solve, ait été sélectionnée pendant la Semaine du climat. À présent, il est temps de mettre le turbo, mais pour cela, nous avons besoin de plus de fonds. »
Sur plus de 850 candidatures reçues cette année dans le cadre des Prix des jeunes entrepreneurs, Andrés a été sélectionné comme l'un des huit finalistes. Le programme, mis en œuvre par le Centre du commerce international (ITC) et l'Initiative foncière mondiale du G20, favorise la transition verte et juste en investissant dans de jeunes entrepreneurs qui agissent en tant que catalyseurs du développement durable, de la justice environnementale et de l'action climatique. Le programme est ancré dans la Ye! community, une communauté de jeunes entrepreneurs sous l'égide de l'ITC.