7 novembre 2024
Entretien avec Mmakwena Moesi, cofondatrice et Directrice générale de Viva Organica

Evelyn Seltier du Forum du commerce s'est entretenue avec Mmakwena Moesi, cofondatrice et Directrice générale de Viva Organica, une entreprise basée à Gaborone, au Botswana. Celle-ci fournit des services d'agriculture durable, en s'appuyant sur la technologie du lombricompostage pour transformer les déchets organiques en biofertilisants de haute performance.

 

En raison de l'irrégularité des conditions météorologiques due au changement climatique et de l'aggravation de la sécurité alimentaire, la jeune directrice envisage d'apporter à l'Afrique subsaharienne des innovations vertes qui permettraient d'inverser la dégradation des terres et de restaurer la fertilité des sols. Elle explique au Forum du commerce ce que cela implique, de l'appui financier et de ce qu'il permet, ainsi que de la fourniture de services holistiques qui, espérons-le, conduiront à un avenir durable.

Q : Comment Viva Organica aide-t-elle les ménages et les communautés agricoles à cultiver des aliments biologiques ?

Nous avons recours au lombricompostage, un processus biotechnologique qui convertit durablement les déchets organiques en engrais riches en nutriments, capables d'améliorer la santé des sols. Ces engrais sont disponibles localement et abordables pour les agriculteurs.

Jusqu'à présent, nous avons assaini plus de 100 tonnes de déchets organiques grâce à un partenariat avec un magasin d'alimentation au détail qui vend des fruits et des légumes et un parc d'engraissement sur lequel se trouve la ferme à lombrics. Nous acceptons volontiers leurs déchets pour nos vers.

Ces déchets diovent être précompostés avant de les introduire dans le système de lombricompostage de notre ferme située à l'extérieur de Gaborone. Ce processus dure plus de 70 jours, après quoi nous acheminons le compost obtenu vers notre site de traitement en ville, où nous fermentons les déchets et en liquéfierons une partie à l'aide d'additifs naturels.

Mmakwena Moesi, cofondatrice et Directrice générale de Viva Organica
© Kefilwe Fifi Monosi/ ITC/Fairpicture
Ajout de déchets organiques dans les champs de lombricompostage.
© Kefilwe Fifi Monosi/ ITC/Fairpicture

Q : Vous avez fondé Viva Organica il y a huit ans, à l'âge de 23 ans seulement. Quelle a été votre inspiration ?

© Kefilwe Fifi Monosi/ ITC/Fairpicture

Comme, en grandissant, je passais tous mes week-ends dans notre ferme familiale, je me suis naturellement orientée vers des études en biologie avec un accent sur l'écologie.

J'étais curieuse de comprendre comment l'agriculture biologique pouvait servir d'alternative aux pesticides chimiques et comment nous pouvions trouver un équilibre entre les demandes croissantes d'une population de plus en plus nombreuse tout en vivant en harmonie avec notre écosystème.

Je suis tombée sur une brochure du Ministère de l'agriculture sur les avantages économiques et sociaux du lombricompostage. Comme j'ai toujours eu l'intention de créer ma propre entreprise, j'ai donc mis à profit mon expertise pour monter ma propre affaire.

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5 novembre 2024

Q : Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la création de votre entreprise ?

En 2016, le lombricompostage était encore une technique nouvelle au Botswana. Avec le soutien de ma mère, mon partenaire et moi avons construit une structure de boîtes à partir de meubles recyclés qui ont accueilli les vers de terre.

Nous avons construit des prototypes pour les tester sur le marché, ce qui nous a permis de nous faire une idée du financement et des clients. Un des principaux défis, qui m'a marqué pendant un certain temps, était l'accès à la terre. Sinon, outre le financement, ce sont l'embauche de personnel et la mise en œuvre d'une stratégie de marketing qui ont constitué nos principaux freins.

Alors que nous étions entre deux emplois pour nous maintenir à flot, nous avons fait une demande de financement auprès du Ministère de la jeunesse. Nous avons obtenu une subvention qui nous a permis de poursuivre le développement de notre produit.

À cette époque, nous étions en pleine pandémie de COVID-19. Ce fut un moment doux-amer, car l'inquiétude des communautés concernant la sécurité alimentaire nous a aidés à pénétrer le marché avec nos engrais.

Dineo Otukile, Assistante de production, verse le composé liquide bio obtenu dans un bidon, prêt à être vendu directement à l'entrepôt. Le composé est fait de compost de thé enrichi, brassé avec des turricules de vers et du varech de première qualité.
© Kefilwe Fifi Monosi/ ITC/Fairpicture

Q : Que s'est-il passé ensuite ?

En 2022, nous sommes devenus l'un des 20 premiers gagnants du YouthADAPT Challenge. Cela nous a permis d'obtenir un financement de 100 000 dollars qui a catapulté notre entreprise : nous avons pu embaucher plus d'employés et élargir notre gamme de produits, mais surtout, nous avons été en mesure de répondre à toutes les exigences réglementaires.

Cela montre la puissance d'un appui financier. Pendant longtemps, nous avons vendu directement à nos agriculteurs, parce que notre documentation réglementaire n'était pas complète. À présent, nous pouvons nous engager en B2B dans la vente aux entreprises, et placer nos produits chez les grands détaillants du Botswana.

Grâce à une innovation continue, nous établissons des partenariats pour nos solutions agritech qui font appel à l'intelligence artificielle. Ces solutions aident les agriculteurs à mieux comprendre les besoins de leurs sols et à utiliser les meilleures pratiques afin de mettre en œuvre rapidement des méthodes de lutte intégrée contre les parasites ou des méthodes biologiques. La lutte intégrée contre les nuisibles est la base d'une bonne culture, car elle s'intéresse à la nutrition du sol et renforce la résilience des cultures de manière proactive, en prenant des mesures avant toute infestation de nuisibles.

Mmakwena Moesi examine l'état des stocks avec Thata Bogole, une jeune représentante commerciale de Viva Organica.
© Kefilwe Fifi Monosi/ ITC/Fairpicture

Q : Quelle différence d'impact lorsqu'on compare les méthodes de fertilisation chimique et biologique ?

Lorsqu'il s'agit de lutter contre les nuisibles, les intrants chimiques ont un effet immédiat. C'est pourquoi ils sont populaires. Mais ils ne sont pas durables – l'utilisation de produits chimiques est une mesure « corrective » et non « préventive ». L'utilisation de matières organiques pour apporter des nutriments à votre sol peut prendre plus de temps, mais c'est la méthode la plus saine.

Moi aussi j'ai grandi en pensant que la santé des cultures impliquait l'utilisation de pesticides et d'intrants chimiques. Changer les mentalités des agriculteurs et des décideurs politiques représente donc un sacré défi.

En Afrique australe, l'agriculture biologique en est encore à sa phase d'essai. Mais les 400 agriculteurs qui utilisent nos méthodes biologiques ont des rendements plus élevés parce qu'ils sont moins confrontés aux nuisibles résultant de maladies. Leur sol est plus sain.

Pour obtenir de meilleures données qualitatives sur l'efficacité de nos produits, nous travaillons en partenariat avec l'université d'agriculture et de ressources naturelles du Botswana. Lorsque nous aurons les résultats, ce sera l'un de nos principaux arguments de vente envers les agriculteurs.

L'utilisation de produits chimiques est une mesure « corrective » et non « préventive ». L'utilisation de matières organiques peut prendre plus de temps, mais c'est la méthode la plus saine.
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Calen Magetsi, agriculteur, verse l'engrais de Viva Organic dans l'arrosoir avant d'arroser son potager.
© Kefilwe Fifi Monosi/ ITC/Fairpicture

Q : Dans quelle mesure les effets du changement climatique influencent-ils l'agriculture biologique ?

© Kefilwe Fifi Monosi/ ITC/Fairpicture

L'augmentation de nouvelle espèces de nuisibles invasives en Afrique australe au cours de la dernière décennie est liée à 100 % aux extrêmes climatiques. Ils s'attaquent aux cultures de sécurité alimentaire comme le maïs.

Le Botswana est menacé par la hausse des températures. Les insectes peuvent se reproduire plus rapidement lorsqu'il fait plus chaud, ce qui se traduit par des pertes de récoltes plus importantes.

Nous ne pouvons pas parler de protection des cultures sans parler de la nutrition des sols et du changement climatique. Le Botswana a toujours été un pays sec. Nous devons donc nous concentrer sur la santé des sols en réintroduisant des micro-organismes indigènes et en retenant l'humidité des sols. Nous ne pouvons pas travailler en vase clos.

Q : Parlez-nous de vos projets.

Ce n'est pas facile d'aller à contre-courant des entreprises chimiques établies. Mais le fait d'avoir reçu un financement me permet d'accéder à des opportunités qui m'aideront à développer mon entreprise et à m'imposer sur le marché, par exemple en obtenant un terrain.

Bien que nous ayons commencé en tant qu'entreprise de production d'engrais, nous voulons construire un portefeuille de services qui appuie les agriculteurs dans les pratiques de base de la conservation et d'utilisation des sols, en fournissant des semences et toute une gamme de bio-pesticides.

Nous sommes également impatients de conclure d'autres partenariats afin d'élargir les possibilités de distribution. Nous sommes fiers d'avoir signé, il y a trois mois, un protocole d'accord avec RealIPM South Africa, la principale société de lutte biologique en Afrique.

Ce partenariat confère à Viva Organica des droits de distribution exclusifs au Botswana. Nous sommes en train d'intégrer une dizaine de produits, ce qui me réjouit beaucoup. C'est une toute nouvelle approche : une intervention bien pensée qui vaut la peine d'être lancée au Botswana.

Sur plus de 850 candidatures reçues cette année dans le cadre des Prix des jeunes entrepreneurs, Mwakwena Moesi a été sélectionnée comme l'une des huit finalistes. Le programme, mis en œuvre par le Centre du commerce international (ITC) et l'Initiative foncière mondiale du G20, favorise la transition verte et juste en investissant dans de jeunes entrepreneurs qui agissent en tant que catalyseurs du développement durable, de la justice environnementale et de l'action climatique. Le programme est ancré dans la Ye! community, une communauté de jeunes entrepreneurs sous l'égide de l'ITC.