
L'avenir prometteur de l'Afrique dans le secteur du textile et de l'habillement
« Il y a dix ans, l'Afrique avait besoin du monde ; aujourd'hui, c'est le monde qui a besoin de l'Afrique. »
Mohammed Kassem est convaincu que l'industrialisation du continent se fera grâce au potentiel de l'industrie africaine de transformation du coton et de fabrication de vêtements.
Président de l'association des exportateurs égyptiens EXPOLINK et Commissaire de Destination Africa en Égypte, M. Kassem s'est entretenu avec le Forum du commerce sur les des défis et, plus important encore, sur des solutions pour intégrer les chaînes de valeur de l'industrie en Afrique. En point de mire : un marché continental plus fort et les exportations durables que le marché international recherche.
L'entretien a été édité et condensé pour gagner en clarté.
C'est vrai, le continent est un producteur et exportateur de coton brut majeur (10 % du commerce mondial de coton). Dans le seul secteur du textile, le potentiel d'exportation de vêtements en coton vers les marchés internationaux et intra-africains d'ici 2026 est estimé à 5,8 milliards d'euros. Ces exportations, ajoutées à celles d'autres tissus et de vêtements en coton, constituent une chaîne de valeur prometteuse.
Cependant, l'Afrique exporte encore 90 % de son coton brut vers l'Asie, et est un importateur net de tissus et de fils de coton. Les fabricants africains n'importent que 7 % du fil de coton et 6 % du tissu de coton d'autres pays du continent. Il s'agit clairement d'une occasion manquée.
Il y a vingt ans, lorsque l'association commerciale African Cotton and Textile Industries Federation (ACTIF) a été fondée, elle était la seule organisation panafricaine représentant l'ensemble de la chaîne de valeur du coton, du textile et de l'habillement en Afrique. Nombre de ses membres exportaient des vêtements vers les États-Unis dans le cadre de la loi américaine sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique (AGOA). La chaîne de valeur coton-textile-habillement encouragée par l'AGOA a créé des centaines de milliers d'emplois directs et des millions d'emplois indirects dans les secteurs d'appui dans plusieurs pays africains.
Malheureusement, depuis la pandémie de COVID-19, nous avons perdu notre financement et cet organe de représentation institutionnelle ne fonctionne plus. Destination Africa, qui fait venir en Égypte des acheteurs, des fabricants et des exposants de tout le continent pour promouvoir les exportations africaines, nous aide, mais cela ne suffit pas.

Le monde est en train de réorganiser les chaînes de valeur internationales sous l'effet du passage de la délocalisation à la proximité, ce qui constitue un tremplin idéal pour l'Afrique et pour l'Égypte.
Cependant, c'est plus facile à dire qu'à faire. La plupart des gouvernements n'apprécient toujours pas la valeur du secteur du textile en tant que pivot du développement, mais je suis absolument convaincu du futur de ce secteur en Afrique.
Même si le monde a plus que jamais besoin de l'Afrique et de son coton, aujourd'hui seuls six ou sept pays africains sont actifs dans la construction de leurs chaînes de valeur dans cette filière.
Il faut que les gouvernements mettent en place des politiques plus propices aux entreprises.
Même si nous voyons certains investissements en Afrique de l'Ouest (Bénin et Togo) où ils utilisent le coton local pour produire du fil, il faut comprendre que le développement du secteur de la fabrication de vêtements est vital, car si le fil n'est pas lui aussi transformé localement, la valeur ajoutée restera limitée. C'est pourquoi nous devons développer des chaînes d'approvisionnement, de la filature au tissage, à la teinture, etc. Ce n'est qu'à cette condition que le secteur de l'habillement pourra devenir un véritable facteur d'attraction.
En Égypte, nous avons de grands espoirs. La demande d'exportations et l'intérêt pour les investissements en Égypte sont sans précédent aujourd'hui. La Chine, par exemple, encourage ses fabricants de textiles à s'internationaliser et à réexporter à partir de notre continent. Cette tendance ne peut que s'accélérer.
Oui, le marché africain est encore très primitif en termes de demande : la consommation de vêtements par habitant est la plus faible du monde. La plupart des investisseurs s'intéressent aux grands marchés d'Europe et des États-Unis.
Pour construire une demande en Afrique, il faut commencer par mettre de l'argent dans le portefeuille des gens.
En investissant et en créant des emplois, ils disposeront de suffisamment d'argent pour créer la demande – la demande est le fruit du développement économique.
L'Afrique a besoin d'industries à forte intensité de main-d'œuvre, comme les produits alimentaires transformés et l'habillement. Nous devons employer les gens, les faire passer d'une économie agraire à une économie industrielle. Tant que nous n'aurons pas opéré cette transition, la demande restera faible.

Si nous nous en tenons à la dynamique actuelle, les échanges resteront cloisonnés. J'espère que le Secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) sera le catalyseur du changement nécessaire, et qu'il élaborera un plan continental. Si nous ne fusionnons pas les efforts économiques régionaux tels que ceux du COMESA, de la SADEC, et des autres communautés régionales sous un même parapluie, et si nous n'investissons pas dans la logistique, l'infrastructure et un système bancaire opérationnel, rien ne changera.
Il faudra de lourds investissements, et le secteur privé ne peut supporter ce fardeau à lui seul, pas plus que les Nations Unies. Le changement doit venir d'une entité africaine qui se préoccupe du développement de l'Afrique et agit dans l'intérêt de l'Afrique. Devons-nous inventer un autre organisme ? Pouvons-nous faire revivre ACTIF ? Cela reste à voir.

L'Afrique est bien placée pour actionner la transition verte. Deux choses peuvent être facilement mises en place. La première consiste à utiliser l'énergie solaire autant que possible, car l'industrie de la confection n'est pas gourmande en énergie. En outre, il lui est possible de consommer l'électricité produite immédiatement, ce qui résout le problème du stockage qui constitue dans d'autres secteurs le principal obstacle à l'investissement dans l'énergie solaire.
Deuxièmement, il faut investir dans le système « zéro rejet liquide » : il s'agit de réutiliser la quantité exacte d'eau nécessaire pendant les processus de fabrication, de lavage et de finition du tissu. C'est une technologie très viable et réalisable. Si les gouvernements rendent ces deux dispositifs obligatoires, même partiellement, lors de l'investissement, cela peut faire une grande différence.
Les grandes marques et les détaillants font pression sur leurs fournisseurs pour qu'ils deviennent plus durables. Il nous faut cependant être conscients du phénomène d'écoblanchiment : s'ils sont vraiment sincères dans leurs efforts, les détaillants doivent aider les usines techniquement et financièrement.
Le problème avec nos amis des marchés riches comme l'Europe et les États-Unis, c'est qu'ils veulent que tout soit parfait, mais sans être disposés à en payer le prix – ils pressent les fournisseurs pour qu'ils baissent leurs prix, parfois au point qu'il ne reste plus de jus aux fabricants pour investir dans la durabilité.
