La ligue des États arabes: Une perspective régionale
Les analyses de l'ITC montrent qu'en réduisant les obstacles au commerce, on peut accroître le commerce des États membres de 10% et créer deux millions d'emplois. Les membres de la Ligue ont signé de nombreux accords d'accès préférentiel aux marchés, qui ont notamment créé la Grande zone arabe de libre-échange (GAFTA) incluant tous les membres de la Ligue sauf les Comores, Djibouti, la Mauritanie et la Somalie. Au sein de la GAFTA, les six pays membres du Conseil de coopération du Golfe et l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie sont parties à l'accord d'Agadir, qui crée une zone méditerranéenne de libre-échange. Parallèlement, de nombreux accords bilatéraux entre États arabes, souvent antérieurs à la GAFTA, ont toujours cours et servent parfois pour les échanges préférentiels même si, en principe, ils ont été remplacés par la GAFTA.
Malgré ces efforts constants pour réduire les droits de douane et appliquer des accords préférentiels, l'intégration commerciale régionale entre États membres de la Ligue reste modeste comparativement à d'autres marchés communs, tels l'UE et l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est. En fait, les échanges commerciaux inter-arabes ne représentent que 11%, soit une fraction du commerce réalisé avec les États membres de l'OCDE ou d'autres pays en développement, et une faible part comparativement à d'autres régions, l'UE notamment, où plus de 60% des échanges se font entre États membres.
Une analyse plus détaillée montre de fortes disparités entre les membres. La part de la Ligue dans le commerce total de chaque pays va de 0,9% aux Comores à 42% en Palestine. Si certains membres de la Ligue font beaucoup de commerce intrarégional, particulièrement la Jordanie, la Somalie, Oman et Bahreïn, la plupart des échanges se font vers les pays extérieurs à la Ligue. Ainsi, grâce aux accords de libre-échange, la majorité des pays méditerranéens de la région, notamment l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, orientent fortement leur commerce vers l'UE.
Au vu de l'évolution des importations et des exportations non pétrolières intrarégionales et extrarégionales depuis 15 ans, la région a connu une forte croissance depuis 1995, quelle que soit la source et malgré un repli des échanges en 2009 suite à la crise économique mondiale. Malgré cela, la part de l'UE dans les importations et les exportations des membres de la Ligue reste élevée mais a diminué au fil du temps. Le déclin frappe davantage les exportations, dont la part écoulée sur le marché européen est passée de 40% en 1995 à 18% en 2010, sans que cela affecte le commerce intrarégional, qui a toujours représenté une faible part du commerce total en 2010. La contraction des échanges avec l'UE et le maintien des parts du commerce intrarégional ont permis au reste du monde, y compris les économies émergentes en plein essor, de renforcer leur position en tant que partenaire commercial de la Ligue. Les exportations vers le reste du monde ont même dépassé les importations, passant de 37% en 1995 à 61% en 2010.
Pour évaluer l'intégration régionale, il ne suffit pas de comparer le commerce intrarégional au commerce interrégional; il faut confronter les importations régionales à l'offre totale de la région. Il en ressort, qu'entre 1995 et 2010, l'intégration régionale a faibli et, en 2012, la part de la Ligue dans l'offre totale était inférieure au niveau de 1995. Comme on observe le phénomène inverse pour la part de la Ligue dans l'offre totale du reste du monde, il apparaît que l'intégration régionale a reculé.
Il convient néanmoins de s'attarder sur certains pays et groupes de produits. Les textiles et articles textiles sont les plus performants en termes d'intégration régionale, suivis par les graisses animales et végétales, les graisses alimentaires préparées et les produits minéraux. L'intégration des produits manufacturés a fortement faibli.
Cette tendance négative vaut aussi au plan national; parmi tous les pays membres de la Ligue, seuls le Qatar, le Liban et Maurice ont réussi à resserrer les liens avec les membres de la Ligue par rapport aux non-membres. Le lien entre intégration régionale et préférences tarifaires est également intéressant et soulève la question de savoir si l'évolution de l'accès préférentiel aux marchés traduit une meilleure intégration commerciale, ce qui n'est pas le cas pour la Ligue arabe.
Le faible degré d'intégration régionale des partenaires commerciaux de la Ligue fait penser que d'autres facteurs que les droits de douane conventionnels entravent le libre-échange de biens sur les marchés de la Ligue. Dans le contexte mondial de libéralisation accrue des marchés et de baisse des droits de douane, l'importance relative des obstacles au commerce liés aux MNT a augmenté au cours des dernières années et elle est manifeste dans la région. Les exportateurs souhaitant se hisser sur les marchés étrangers et les importateurs de produits doivent satisfaire à de nombreuses exigences incluant des réglementations techniques, des normes des produits et des procédures douanières. En majorité, ces réglementations n'ont pas de but protectionniste et entendent préserver la santé ou l'environnement. Parfois, le respect des exigences est hors de portée des entreprises, notamment des PME.
Le programme de l'ITC sur les MNT a mené des enquêtes d'envergure auprès d'entreprises de plus de 20 pays (dont ceux de la Ligue) pour identifier les MNT et leur impact sur le commerce. À ce jour, celles couvrant tous les grands secteurs d'exportation égyptiens et marocains sont achevées et on dispose des données d'enquête pour le secteur agricole tunisien. Pour ces trois pays, les résultats des enquêtes, non représentatifs de la région de la Ligue, identifient les obstacles auxquels font face les exportateurs lorsqu'ils commercent avec d'autres membres de la Ligue. Alors qu'une part importante des exigences frappant les exportations égyptiennes, marocaines et tunisiennes sont imposées par le pays d'origine, la majorité des MNT contraignantes appliquées aux exportateurs des trois pays sont le fait des pays partenaires, notamment l'UE et les membres de la Ligue et ce, malgré les accords de libre-échange conclus avec ces deux régions. Cela laisse à penser que les accords commerciaux prévoyant un accès préférentiel aux marchés ne préviennent pas les problèmes liés aux MNT. Dans le secteur agricole, les cas de MNT concernent davantage l'UE que les membres de la Ligue, alors que l'inverse prévaut dans le secteur manufacturier. Dans les deux secteurs, seulement 15% des cas rapportés par les entreprises égyptiennes, marocaines et tunisiennes concernent les MNT appliquées dans le reste du monde.
Obstacles à l'exportation
Dans le cas d'exportation de produits agricoles vers d'autres membres de la Ligue, les entreprises estiment que les mesures SPS/OTC sont les MNT les plus contraignantes. Plus de la moitié des cas de MNT sont des OTC, qui regroupent les réglementations techniques, telles que les exigences spécifiques aux produits liées aux seuils de tolérance pour les résidus; les exigences d'hygiène ou les mesures sur l'étiquetage et l'emballage; et les mesures d'évaluation de la conformité pour prouver le respect des réglementations techniques via le contrôle et la certification. Les entreprises rencontrent davantage de problèmes pour se conformer aux mesures d'évaluation de la conformité appliquées par les pays partenaires de la Ligue qu'aux réglementations techniques en elles-mêmes. En revanche, les pays partenaires non membres de la Ligue estiment que les réglementations techniques et l'évaluation de la conformité soulèvent des difficultés tout aussi importantes.
Après les mesures SPS/OTC, ce sont les règles d'origine qui posent un problème majeur aux entreprises exportant des produits agricoles vers d'autres membres de la Ligue. Alors que la GAFTA et de nombreux accords bilatéraux entre États de la Ligue ont, en principe, créé un accès libre de droits aux marchés pour bénéficier de préférences tarifaires, les pays doivent prouver l'origine de leurs produits. Les accords commerciaux remplacent donc un droit de douane par une MNT, ce qui ne pose pas forcément problème. Dans l'UE, seulement 2,7% des problèmes liés aux MNT concernent les règles d'origine mais ces règles semblent poser un problème majeur pour les échanges avec les pays de la Ligue.
Les autres mesures contraignantes pour exporter vers les pays partenaires de la Ligue concernent le contrôle de la qualité, les impositions et taxes, et les mesures financières telles que les réglementations concernant les délais de paiement pour les importations et les allocations de devises. Ces mesures représentent près de 30% des MNT problématiques appliquées par les membres de la Ligue contre 10% dans les pays non membres.
Les types de MNT cités par les exportateurs du secteur manufacturier sont surtout des règles d'origine et des OTC. Par rapport aux entreprises agricoles, les entreprises manufacturières rapportent moins de problèmes liés à l'évaluation de la conformité lorsqu'elles exportent dans la Ligue. Mais, les problèmes liés aux règles d'origine sont plus prononcés (37% des cas de MNT). Le phénomène ne se limite pas aux pays partenaires de la Ligue et frappe aussi les exportations vers les pays de l'UE et plus encore vers le reste du monde. A nouveau, ce sont les problèmes financiers ainsi que les impositions et taxes qui posent problème en cas d'exportation vers les partenaires commerciaux de la Ligue par rapport à des partenaires d'autres pays.
Réduire les obstacles et créer des emplois
Outre le faible niveau des échanges intrarégionaux qu'aggravent les MNT, la Ligue souffre d'un chômage élevé. La création d'emplois passe notamment par de nouvelles opportunités d'exportation pour les entreprises. Si les obstacles non tarifaires sont le principal frein à l'exportation, leur impact peut être quantifié en utilisant des techniques économétriques et il devient possible de prévoir les avantages liés à une réduction des obstacles au commerce. Pour ce faire, on utilise des modèles d'équilibre général calculables (EGC) appliqués à l'économie mondiale, le prétendu modèle Mirage, qui prend en compte non seulement les données commerciales mais aussi la capacité de production et la demande mondiale pour évaluer les opportunités de développement du commerce et donc de création d'emplois. Les analyses basées sur un modèle EGC permettent de déduire, pour les économies nationales, l'impact de la libéralisation des échanges sur le commerce et le bien-être. Elles permettent aussi d'évaluer le potentiel de création d'emplois dans les secteurs d'exportation.
Les résultats très fiables d'une analyse fondée sur le modèle EGC montrent qu'en réduisant les obstacles au commerce dans les pays de la Ligue, on peut créer des débouchés à l'exportation et des emplois dans les secteurs d'exportation. Le commerce augmenterait de 10% et plus de deux millions d'emplois non qualifiés et 80 000 emplois qualifiés pourraient être créés d'ici 2025 dans les secteurs d'exportation de la Ligue. Cette analyse porte sur l'élimination des obstacles au commerce au sein de la Ligue et sur son impact sur le commerce et l'emploi. Les perspectives s'annoncent meilleures pour le processus d'intégration mondiale. Tout comme les MNT seront réduites et le commerce intrarégional stimulé, les obstacles au commerce extrarégional seront levés et le commerce extrarégional augmentera, multipliant les opportunités d'emploi.