Commerce et politiques publiques: Gros plan sur les mesures non tarifaires au xxe siecle
Le Rapport sur le commerce mondial 2012 de l'OMC jette un regard neuf sur une question ancienne: les mesures non tarifaires (MNT).
Elles existent depuis que les pays font du commerce et sont soumises à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1947. Leur importance s'est accrue à mesure que les droits de douane diminuaient. En même temps, l'évolution de l'environnement économique a transformé les MNT et posé de nouveaux défis au système commercial multilatéral. Cette évolution et les défis qu'elle soulève sont le thème du rapport 2012.
Le rapport traite des obstacles techniques au commerce (OTC) et des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS). Faute de données suffisantes, il est difficile d'évaluer l'utilisation des MNT au cours des 20 dernières années. Mais il est indéniable que les mesures SPS/OTC ont gagné en importance en termes absolus et relatifs par rapport à d'autres mesures. Le nombre de notifications des mesures SPS/OTC a augmenté, et, du moins pour les OTC, les problèmes commerciaux spécifiques soulevés devant le Comité OTC de l'OMC sont à la hausse. D'après les données de la CNUCED provenant de sources officielles et les enquêtes de l'ITC auprès des entreprises, les mesures SPS/OTC sont les MNT les plus fréquentes. Les enquêtes menées par l'ITC dans 11 pays en développement et PMA ont montré que près de la moitié des MNT contraignantes sont des mesures SPS/OTC et que, pour les exportateurs, plus de 70% des MNT contraignantes créent un obstacle de procédure.
L'importance croissante des mesures SPS/OTC par rapport aux mesures traditionnelles, comme les quotas ou la protection contingente, reflète une tendance des MNT à traiter des préoccupations liées à la santé, la sécurité, la qualité de l'environnement et d'autres impératifs sociaux. Le développement économique et la hausse des revenus propulsant ces questions au cœur de la politique, la tendance ne devrait pas s'affaiblir dans les années à venir. De plus, du fait de l'expansion du partage mondial de la production, les normes relatives aux produits et aux procédés deviennent très pertinentes pour relier les différentes étapes des chaînes de production mondiales. Cela suggère que l'importance de la politique publique liée aux MNT ne déclinera pas.
Effets des MNT sur le commerce
Les mesures SPS/OTC, parfois contraignantes pour les exportateurs, ne sont pas des restrictions commerciales ordinaires. Leurs effets, positifs ou négatifs, sur le commerce dépendent de plusieurs facteurs. Premièrement, la façon dont elles sont appliquées ou gérées influence l'impact commercial. Les obstacles de procédure les plus souvent cités par les exportateurs des pays développés et en développement sont les contraintes de temps, y compris les retards dus à la réglementation et les délais courts impartis pour présenter les documents. Ces contraintes représentent 35% des obstacles mentionnés. Viennent ensuite les paiements informels ou exceptionnellement élevés (22%). Deuxièmement, plus que les mesures elles-mêmes, les différences entre les politiques nationales peuvent considérablement augmenter les coûts de transaction et réduire ou fausser les flux commerciaux.
Les effets réels des MNT sur le commerce sont difficiles à évaluer. Les économistes estiment souvent un équivalent tarifaire ad valorem des MNT, soit par la méthode de l'écart de prix, soit en comparant les importations effectives avec une estimation de ce que seraient les importations dans le cadre du libre échange et en convertissant l'écart de quantités en écart de prix en se basant sur l'élasticité des prix. Cette approche ne permet pas une décomposition par mesure spécifique de la valeur agrégée.
Alors que les politiques publiques n'ont pas pour but de fausser ou restreindre les échanges, elles peuvent être conçues ou appliquées de manière à restreindre intentionnellement les échanges, même si elles ont avant tout un objectif de politique publique. Évaluer l'objectif d'une telle mesure, ou de mesures servant un double objectif, est encore plus délicat car il faut estimer le degré de contribution à la réalisation d'un objectif légitime.
Les problèmes de coopération en matière de politique publique
La coopération internationale dans le domaine des MNT, notamment celles liées à la politique publique, est compliquée par de nombreux facteurs, au rang desquels figurent les problèmes aigus de transparence soulevés par de nombreuses MNT. Plusieurs sont intrinsèquement complexes et opaques, et les données disponibles sont limitées et généralement de qualité médiocre. L'opacité rend la coopération internationale difficile car elle crée des inefficiences dans l'élaboration des règles, ne permet pas d'assurer le respect des accords, n'encourage pas l'amélioration de la réglementation et ne remédie pas au manque d'engagement des gouvernements. Elle impose des coûts à certaines entreprises, généralement les exportateurs, mais elle peut profiter à d'autres, celles qui concurrencent les importations. Selon les circonstances, les gouvernements ayant des motivations politiques peuvent avoir une préférence pour des instruments opaques plutôt que transparents.
L'OMC et d'autres organisations internationales ont déployé des efforts importants pour améliorer la quantité, la qualité et l'accessibilité des renseignements sur les MNT mais il reste beaucoup à faire. Le Portail intégré d'information commerciale (I-TIP) de l'OMC, qui sera lancé fin 2012, offrira un accès unifié à toutes les bases de données et informations de l'OMC sur les MNT collectées via des notifications. Il est plus difficile d'améliorer la qualité et la quantité des renseignements recueillis. Le Secrétariat de l'OMC et d'autres organismes ont remanié la classification internationale pour mieux intégrer toutes les sources d'information disponibles. L'initiative multipartite sur la Transparence dans le commerce peut aussi jouer un rôle majeur en favorisant la collecte et la diffusion de données, et en instaurant un mécanisme de transparence durable. Enfin la clé de l'amélioration durable de la transparence est entre les mains des gouvernements nationaux.
Un second facteur entravant la coopération internationale est une tension intrinsèque lorsqu'il s'agit de concilier la restrictivité des échanges et la réalisation d'objectifs de politique publique lors de l'élaboration et de la mise en œuvre des mesures. Cette tension est exacerbée par les problèmes d'information. Les Membres de l'OMC ne savent pas toujours quelles mesures seront les plus efficaces pour trouver cet équilibre. La définition d'un critère de référence convenu au niveau mondial pour déterminer quelle réglementation permettra d'atteindre un objectif donné, peut aider à cet égard. C'est pourquoi les Accords SPS/OTC encouragent à aligner les mesures sur les normes internationales pertinentes. Ce n'est pas une panacée car les pays diffèrent quant à leurs préférences et goûts en matière de risque. De plus, définir les normes internationales pertinentes dans le domaine des OTC et de la réglementation intérieure relative aux services n'est pas simple. En raison de leur manque de capacités réglementaires, les pays en développement et les PMA peuvent rencontrer des difficultés particulières pour influencer le processus d'élaboration des normes.
Deuxièmement, il se peut aussi que les Membres ne sachent pas comment élaborer et appliquer des mesures SPS/OTC tout au long du cycle réglementaire. Il peut être utile de recourir à un ensemble convenu de mesures réglementaires définissant une intervention réglementaire efficace. Avoir un langage réglementaire commun accroît la transparence et la prévisibilité des mesures SPS/OTC et offre des critères communs pour leur évaluation. Le travail des Comités SPS/OTC est pertinent à cet égard car il encourage les Membres à adopter des approches communes telles que les bonnes pratiques réglementaires lors de l'élaboration des mesures SPS/OTC.
La prolifération des normes privées compromet aussi l'élargissement de la coopération. Elles répondent à diverses préoccupations liées à l'environnement, aux valeurs sociales et à la sécurité alimentaire. Qualifiées de volontaires par nature car imposées par des entités privées, ces normes peuvent devenir de facto une condition nécessaire pour accéder aux marchés. Les pays en développement craignent que ces prescriptions soient plus rigoureuses que les règlements gouvernementaux, qu'elles prolifèrent et qu'il n'y ait pas de moyens de les discipliner. L'impact de telles normes est exprimé devant les Comités OTC et SPS bien qu'il existe une incertitude quant au rôle potentiel de l'OMC.
Les pays pauvres jugent souvent difficile de respecter les normes imposées sur les grands marchés car cela peut coûter cher aux entreprises de s'adapter aux normes contraignantes pour accéder aux marchés d'exportation des pays riches et aux gouvernements de fournir l'infrastructure pour évaluer la conformité. Le renforcement de la capacité réglementaire est une composante essentielle de l'amélioration de la coopération internationale en matière de politiques publiques à l'intention des pays pauvres. Le Fond pour l'application des normes et le développement du commerce s'est révélé pertinent pour bâtir la capacité des pays pauvres dans le secteur des SPS mais jusqu'ici il n'existe pas d'outil similaire pour la mise en œuvre des normes dans le secteur des OTC.
Défis à venir pour s'adapter au-delà des tarifs douaniers
Pour les raisons ci-avant, les politiques publiques sont appelées à durer et leur importance ira croissant. L'OMC devra fatalement s'attaquer aux frictions commerciales sur lesquelles il est plus difficile de statuer que sur les obstacles classiques au commerce. Plusieurs différends, touchant notamment les hormones bovines, ont déjà été présentés en rapport avec les mesures privées-publiques. Cela signifie que les organes juridictionnels de l'OMC seront de plus en plus tenus d'évaluer la légitimité des objectifs des politiques publiques. Certains se demandent si juger de cette légitimité et trouver un compromis entre la poursuite de cet objectif et la quête de gains commerciaux doit rester l'apanage des organes juridictionnels de l'OMC.
Enfin, l'ouverture des échanges dans le cas des politiques publiques nécessite une convergence réglementaire. L'OMC promeut certaines formes de convergence, par exemple, en encourageant les Membres à aligner leurs mesures SPS/OTC sur les normes internationales pertinentes. Les dispositions liées à la transparence, l'Aide pour le commerce et la promotion des meilleures pratiques dans le processus réglementaire améliorent aussi la transparence. Mais les différences de préférence, les niveaux de développement et la capacité de gouvernance peuvent fortement entraver la convergence multilatérale. En revanche, on pourrait y parvenir via des accords de coopération régionale entre pays similaires. Cela peut entraîner un important détournement d'échanges pour les tiers et un verrouillage réglementaire. Ceci pose un nouveau défi majeur pour adapter l'OMC à un monde allant au-delà des droits de douane tout en maintenant sa pertinence au cœur du système commercial multilatéral.