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Comment investir dans une chaîne de valeur des textiles et du coton viable en Afrique ?

8 avril 2025
Matthias Knappe, Centre du commerce international

L'approche de l'ITC pour l'intégration de la chaîne de valeur du coton dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine requiert l'appui des décideurs politiques, des organisations d'appui aux entreprises, des investisseurs et des détaillants, sur le continent comme à l'étranger.

 

Une étude du Centre du commerce international (ITC) montre que l'Afrique a le potentiel d'exporter 5,8 milliards d'euros de vêtements en coton d'ici 2026, dont près de 15 % pourraient être destinés au continent africain. En d'autres termes, les deux tiers du potentiel d'exportation intrarégional du secteur ne sont pas encore réalisés. Malgré des exportations actuelles relativement élevées et un potentiel d'exportation encore plus haut, la demande d'importation reste forte, ce qui se traduit par une valeur d'importation de 3,6 milliards d'euros, qui devrait encore augmenter de 84 % d'ici 2026.

 

Malgré ces chiffres prometteurs, ce potentiel reste largement non réalisé puisque les pays africains n'ont importé en 2022 depuis leurs homologues du continent que 7 % du fil de coton, 6 % des tissus en coton et 9 % des vêtements.

En outre, si tous les pays producteurs de coton de la région développaient pleinement leur industrie des textiles et de l'habillement et transformaient le coton localement, cette industrie pourrait générer jusqu'à 5,8 millions d'emplois.

Des femmes travaillent à leur machine à coudre dans un atelier de confection de vêtements.
La Benin Textile Corporation dispose désormais d'une usine « verticalement intégrée » : elle produit des vêtements tricotés pour des marques et des détaillants internationaux en transformant du coton traçable cultivé localement.
© Benin Textile Corporation

Développer des chaînes de valeur orientées en interne et à l'externe

Pour satisfaire la demande au sein du continent, il est primordial de développer des chaînes de valeur compétitives pour les textiles et le coton. Transformer le coton localement au lieu de l'exporter pourrait également contribuer à réduire les émissions de carbone en rapprochant les chaînes d'approvisionnement des sources de matières premières.

L'empreinte carbone du coton africain est relativement faible par rapport à d'autres sources de coton. En s'appuyant sur cette base durable, il faut que l'industrie investisse dans des installations de filature et de tissage/tricotage modernes et respectueuses de l'environnement. Par exemple, le Bénin a commencé à transformer son propre coton dans un parc industriel de pointe grâce à des investissements asiatiques et, en 2023, l'Égypte a investi dans de nouvelles installations modernes de filature et de tissage pour valoriser son propre coton.

Toutefois, selon les calculs de l'ITC, en 2021, les exportations de vêtements depuis l'Afrique vers le monde étaient beaucoup plus importantes que le commerce intracontinental (10,3 milliards de dollars contre 961 millions de dollars).

Toute approche de l'intégration des chaînes de valeur en Afrique ne doit donc pas négliger ces opportunités en dehors du continent.

Étant donné que les États-Unis et l'Union européenne, avec leur accès aux marchés en franchise de droits et leurs exigences très libérales en matière de règles d'origine, sont les plus grands marchés pour les vêtements africains, les décideurs politiques doivent également promouvoir la fabrication de vêtements à partir de tissus importés.

Les grands fabricants de vêtements asiatiques qui ont des clients de longue date sur les marchés occidentaux trouveront plus facile d'installer des ateliers de confection utilisant des tissus asiatiques, au lieu d'investir de grandes quantités de capitaux dans la fabrication de textiles. Les compétences, le savoir-faire et l'expérience acquis dans le cadre de ce modèle d'entreprise peuvent ensuite être étendus à la fabrication de textiles pour servir les pays étrangers traditionnels et les pays africains.

Un jeune homme transporte un tapis roulé et emballé entre les travées d'un entrepôt.
Travail sur l'intégration de la chaîne de valeur du coton dans le cadre du projet GTEX-MENATEX mené par l'ITC en Afrique du Nord.

Les étapes concrètes de l'intégration

Des activités sont indiquées à chaque segment de la chaîne d'approvisionnement, ainsi qu'au niveau des entreprises, des institutions et des politiques, afin de remédier aux lacunes et de fluidifier l'enchaînement des segments.

La première étape consiste à un examen au niveau national : les pays et régions producteurs de coton ont besoin d'investissements dans des industries textiles durables, tandis que ceux dont la fabrication de vêtements est déjà un point fort ont besoin d'une « mise à niveau » pour exploiter les opportunités au sein et hors du continent. À cet égard, l'ITC travaille avec l'industrie de l'habillement en Égypte, en Éthiopie, à Madagascar, au Maroc, en Tanzanie et en Tunisie afin d'accroître la compétitivité internationale du secteur, en mettant l'accent sur la durabilité environnementale. Une fois la compétitivité accrue, le secteur devrait être en mesure de résister à la concurrence des fournisseurs asiatiques sur le continent.

La deuxième étape doit être axée sur la collaboration au niveau sous-régional. L'ITC, par exemple, travaille avec Madagascar et Maurice pour offrir une solution intégrée en matière de textiles et d'habillement aux clients du Nord ainsi qu'à l'Afrique du Sud dans le cadre du marché de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).

En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, nous encourageons la collaboration et les synergies entre l'Égypte, la Jordanie, le Maroc et la Tunisie, en nous appuyant sur le cadre de l'accord de libre-échange d'Agadir. En Afrique occidentale/centrale, l'ITC fait partie du partenariat pour le coton qui développe une chaîne de valeur du coton à l'habillement dans le Cotton Four ou C4 (Bénin, Burkina Faso, Tchad et Mali) plus la Côte d'Ivoire. Grâce aux parcs industriels, aux investissements à grande échelle (et à la fabrication de vêtements à partir de tissus de pays tiers), 500 000 emplois pourraient être créés rien que dans le secteur manufacturier.

En outre, de nombreux types de textiles africains sont produits sur le continent au niveau artisanal. L'intégration d'une chaîne de valeur régionale basée sur le coton n'est pas seulement cruciale en termes de croissance, de durabilité et de qualité de vie, mais il s'agit également de promouvoir et de préserver le savoir-faire continental.

C'est exactement le travail de l'ITC avec des artisans et des cultivateurs de coton au Burkina Faso, au Mali, en Côte d'Ivoire, en Zambie et en Tanzanie pour les aider à transformer le coton local.

La troisième étape est ensuite axée sur une chaîne de valeur continentale : il faut pour cela des réformes politiques, en particulier un accord sur les règles d'origine favorisant le commerce régional et continental, ainsi qu'une interdiction ou au moins une réduction des vêtements de seconde main importés. Le règlement de l'Union européenne sur les transferts de déchets, qui prévoit l'interdiction des exportations de déchets textiles, y compris les vêtements de seconde main de mauvaise qualité, vers les pays qui ne peuvent pas recycler les déchets, contribuerait à réduire la pénétration des vêtements de seconde main sur le continent. Enfin, les décideurs politiques doivent s'attaquer aux importations de tissus asiatiques bon marché, qui font souvent l'objet d'un dumping.

Il est essentiel que les décideurs politiques, les fabricants et les investisseurs potentiels collaborent avec les marques et les détaillants du continent afin d'orienter l'offre vers la demande. Le groupe de distribution sud-africain Mr Price qui cherche des partenaires en est un bon exemple, car sa demande en textiles fabriqués sur le continent pourrait à elle seule occuper une usine textile de taille moyenne pendant toute une année.

Toutefois, les exportateurs de vêtements d'Égypte, du Maroc, de Tunisie ou de certains pays d'Afrique subsaharienne (dont le Kenya, Madagascar, Maurice, le Lesotho et l'Éthiopie) qui approvisionnent les États-Unis dans le cadre de l'AGOA ou l'Union européenne dans le cadre du régime préférentiel « Tout sauf les armes » (TSA) ont l'habitude de travailler avec un secteur de la vente au détail très structuré, selon un modèle d'entreprise qui a évolué au fil des décennies.

Dans de nombreux pays africains, en revanche, la vente au détail s'effectue souvent dans le secteur informel. Par conséquent, les fabricants qui sont établis pour des volumes relativement importants et qui suivent des instructions et des exigences strictes de la part de leurs clients auront du mal à répondre aux besoins des clients africains qui suivent un modèle d'entreprise différent.

Des tisserandes africaines suivent une formation dans leur village.
Production de coton en Zambie

Nos recommandations

La construction de chaînes de valeur des textiles et de l'habillement en Afrique qui répondent à l'important potentiel non réalisé du continent ainsi qu'aux marchés internationaux requiert la collaboration des décideurs politiques, des organisations d'appui aux entreprises, des investisseurs potentiels (provenant très probablement de l'industrie des textiles et du coton en Asie) ainsi que des acheteurs, à la fois sur le continent et sur les marchés étrangers.

Si la valorisation du coton est une priorité politique évidente, il serait plus facile de commencer par la fabrication de vêtements à partir de tissus importés, ou du moins de conserver ce modèle de production en parallèle.

Certains investisseurs se montrent très intéressés. Ils sont poussés par l'augmentation des coûts en Asie en général et en Chine en particulier, et explorent les options en Afrique pour servir leurs clients occidentaux traditionnels ainsi que le continent africain. Ces investisseurs ont besoin de politiques propices et stables, d'une bonne infrastructure institutionnelle pour appuyer le secteur, ainsi que d'une main-d'œuvre qualifiée, y compris des cadres.

La mise en œuvre des mesures susmentionnées pourrait contribuer à répondre à ces besoins et à construire des chaînes de valeur africaines des textiles et de l'habillement auxquelles l'Union africaine aspire.