Blog : La sécurité alimentaire en Afrique menacée par de nouvelles barrières commerciales
La flambée des prix des denrées alimentaires met en évidence la forte dépendance de l'Afrique vis-à-vis des importations de produits agricoles de base. Les mesures commerciales récemment imposées et les obstacles commerciaux régionaux persistants viennent s’ajouter aux menaces actuelles sur la sécurité alimentaire du continent.
La guerre en Ukraine a perturbé l'approvisionnement en céréales dans le monde entier. La Fédération de Russie et l'Ukraine représentent à eux deux plus de 15 % des exportations mondiales de céréales et près de 20 % des exportations mondiales d'engrais. La destruction des infrastructures, le blocage des ports, les sanctions et contre-sanctions, ainsi que les mesures commerciales subséquentes ont poussé les prix des denrées alimentaires vers des sommets historiques.
Les prix des céréales ont augmenté de façon spectaculaire depuis le début de la guerre, comme le montre l'outil d'information Market Price du Centre du commerce international (ITC). Alors qu'une tonne de maïs français coûtait 297 dollars le 23 février, son prix est passé à 401 dollars le 23 mai[1].
Les prix mondiaux des denrées alimentaires étaient déjà en hausse avant l'invasion de l'Ukraine, et ce en raison d'une combinaison de facteurs : une demande mondiale élevée en raison des besoins relatifs au redressement post-Covid-19 et de l’utilisation accrue de certains produits de base dans la production de biodiesel ; une offre plus faible causée par de mauvaises récoltes ; des prix élevés pour les intrants à forte intensité énergétique, en particulier les engrais ; et la hausse des coûts du fret international.
Cette situation peut entraîner des conséquences dévastatrices pour plus de 1,3 milliard de consommateurs africains. Tous les pays d'Afrique, à l'exception de la Zambie, sont des importateurs nets de céréales. Au Bénin, la totalité des importations de blé proviennent de la Fédération de Russie et de l'Ukraine[2]. L'Afrique du Nord est également très dépendante des importations de céréales, dont une part importante provenait par le passé de la Fédération de Russie et de l'Ukraine.
Les mesures et leurs conséquences
Dans une tentative de protéger leurs marchés intérieurs contre de nouvelles hausses des prix, de nombreuses économies ferment leurs portes aux exportations. À la mimai 2022, 52 pays avaient adopté des restrictions temporaires à l'exportation de produits alimentaires.
Le 11 mars de cette année, l'Égypte a établi une interdiction de trois mois sur les exportations de produits alimentaires essentiels, notamment le blé, les pâtes, la farine, les lentilles, les fèves et l'huile de cuisson. L'Algérie, également très dépendante aux importations de blé, a fait de même en interdisant les exportations de sucre, de pâtes, d'huile, de semoule, de blé et de tous les produits dérivés du blé. Le 13 mai 2022, l'Inde, deuxième producteur mondial de blé, a annoncé l'interdiction de toute exportation de ce produit.
Dans le même temps, d'autres pays ont libéralisé les importations de céréales. La République dominicaine, le Salvador et les Philippines, par exemple, ont réduit les droits de douane sur les produits alimentaires de base afin d'amortir l'impact de la hausse des prix sur les consommateurs. Le 15 mars 2022, la Suisse a abaissé ses taxes d'importation sur le fourrage pour animaux dont les céréales sont un ingrédient important.
Ces mesures de restriction des exportations et certaines des mesures de libéralisation des importations, surtout lorsqu'elles sont imposées à des produits destinés à la consommation non humaine, peuvent se retourner contre les pays qui les adoptent et pousser les prix mondiaux encore plus haut.
Dans une récente déclaration, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a souligné la nécessité d'éviter les mesures commerciales restrictives : « Nous devons de toute urgence réduire la pression sur les marchés en augmentant l'approvisionnement en nourriture et en engrais. Il ne devrait y avoir aucune restriction sur les exportations, et les excédents doivent être mis à la disposition de ceux qui en ont le plus besoin. »[3]
Renforcer les liens commerciaux intra-africains
Outre l'augmentation des mesures commerciales de nature temporaire, les entreprises africaines qui exportent et importent des produits agricoles de base seront confrontées aux barrières commerciales habituelles. Les données de l’ITC montrent que 70 % des exportateurs africains de produits alimentaires sont confrontés à des difficultés liées aux mesures non tarifaires, c’est-à-dire des exigences officielles auxquelles les commerçants doivent se conformer lorsqu'ils exportent. Un tiers de ces obstacles signalés dépendent uniquement du pays exportateur. En d’autres termes, les pays africains détiennent la clé pour supprimer un tiers des obstacles commerciaux auxquels les entreprises sont confrontées quotidiennement.
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est l'occasion de renforcer les liens intra-africains et d'accroître la résilience aux chocs externes en matière d'approvisionnement alimentaire. La libéralisation des tarifs douaniers et la garantie de la transparence des réglementations et des procédures de certification sont des actions qui peuvent stimuler les chaînes de valeur régionales.
Les entreprises interrogées dans le cadre d'un récent diagnostic des chaînes de valeur[4] mené par l'ITC en Afrique sont optimistes : 63 % d’entre elles affirment s’attendre à un impact positif de la mise en œuvre de la ZLECAf.
Comme le déclare un représentant du secteur des aliments pour bébés à Sao Tomé-et-Príncipe : « Je pense qu'il serait possible pour l'Afrique de devenir autonome dans le secteur alimentaire dans un avenir pas si lointain. Nous avons un certain savoir-faire, nous avons des terres. Il nous faut renforcer nos liens africains et il suffit de regarder au fond de nous pour voir tout notre potentiel. »
Les investissements dans les chaînes de valeur agroalimentaires régionales seront cruciaux pour forger un bouclier contre les défis de l'approvisionnement externe et favoriser une croissance durable. L'Afrique dispose en effet d'une abondance de fruits et de légumes, de poissons, d'oléagineux, de racines et de tubercules, et bien d'autres produits agricoles. Pour libérer ce potentiel, il est impératif de s'attaquer aux contraintes d'accès aux équipements et technologies pertinents, notamment pour la déshydratation et la transformation des aliments. Il est également essentiel d'élargir l'accès aux laboratoires et aux installations de test pour les évaluations de conformité et de qualité afin de respecter les normes de sécurité alimentaire pertinentes.
[1] Information sur les prix du marché de l'ITC (2022)
[2] Briefings commerciaux de l’ITC (intracen.org)