Comment les politiques commerciales
peuvent-elles soutenir le développement?
Il y a 50 ans, le concept de
Traitement spécial et différencié (TSD)
a été introduit et mis en oeuvre dans le cadre du
Système généralisé de préférences (SGP). Cela a
permis d'offrir de meilleures conditions commerciales
aux PED, avec comme principal pilier les
tarifs préférentiels dans le cadre du SGP. Cette
discrimination notoire entre les pays est permise
dans le cadre des règles de l'OM C. Cependant,
comme le SGP est mis en oeuvre à travers des
systèmes nationaux, il peut varier en fonction des
pays donateurs.
Dans les années 60, des notions telles que
'Tiers monde' et 'pays en développement' avaient
des significations claires; il était alors facile
d'identifier les bénéficiaires. Cinquante ans
plus tard, ces termes sont devenus plus flous.
Certains pays, autrefois des PED, sont devenus
riches; à Singapour, par exemple, le revenu par
habitant représentait $E.-U. 52 050 en 2012. Certains
pays à haut revenu ont était 'affranchis' du
SGP et d'autres mesures de TSD, avec peu de
controverse. Récemment, cependant, certains
pays à revenu moyen ont été affranchis des systèmes
SGP sur la base de la supposition qu''ils
n'en avaient plus besoin'. Certains principes ont
été convenus dans le cadre de l'OM C, mais les
pratiques varient encore en fonction des pays
donateurs et, en grande partie, le TSD reste
fluctuant.
Quels pays ont besoin d'un TSD?
Classés selon les groupes de revenus de la
Banque mondiale, le tableau montre la part des
différents groupes de PED dans le total mondial
en 2009 en matière d'économie, population,
pauvreté et commerce. La Chine est classée
séparément car elle est récemment passée de
pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure
(PRITI) à pays à revenu intermédiaire de la
tranche supérieure (PRITS).
Traditionnellement, tous les groupes de
revenu dans le tableau auraient droit au SGP.
Cependant, la réforme du SGP par l'Union européenne
(UE), effectuée début 2014, montre que
cela n'est plus aussi simple. L'UE a supprimé le
SGP pour les PRITS. La Chine ne bénéficiera
donc bientôt plus du SGP de l'UE, puisqu'elle a
récemment dépassé le seuil de revenu déterminant
($E.-U. 4 086 par habitant en 2012). En
matière de SGP, il n'y donc plus de consensus
sur la définition de PED ni sur les pays en droit
d'en bénéficier. Cette nouvelle pratique de l'UE
diffère des autres schémas de SPG, mais aussi
des autres systèmes de classement utilisés
pour décider des critères d'éligibilité à l'aide au
développement.
Avantages commerciaux étendus pour les
PMA: les régimes en franchise de droits
et de contingents
Le TSD ou le SGP devraient-ils être accordés de
manière égale à tous les pays bénéficiaires, ou
certains de ces pays en ont-ils besoin plus que
d'autres? Pendant longtemps, il était convenu, au
sein de l'OM C, que les PMA devraient être considérés
dans une catégorie spéciale qui pourrait
recevoir des avantages étendus. Plusieurs pays
ont entrepris des mesures afin de mettre en
oeuvre ce concept, en instaurant des régimes en franchise de droits et de contingents (DFQF) pour
les PMA. Selon la CNUCED, 12 pays développés
et six PED ont établi ces régimes, qui ont étendu
les avantages pour les PMA. L'une des ambitions
des négociations du cycle de Doha était d'établir
les régimes DFQF pour les PMA en tant que pratique
générale de l'OMC.
Un problème se pose en rapport avec les
DFQF, cependant: la capacité d'exportation
des pays les plus défavorisés est limitée. Dans
de nombreux cas, cela signifie que les préférences
commerciales ne sont pas très efficaces
pour favoriser le commerce. Comme l'indique
le tableau, les pays à faible revenu représentent
une part importante des pays défavorisés dans
le monde, mais une petite part du commerce
mondial. Cela représente un défi pour les pays
ou blocs commerciaux avec des régimes SPG.
Dans le cadre du régime SGP norvégien, par
exemple, les tarifs du secteur manufacturier sont
bas, mais la protection à l'agriculture est très élevée,
ce qui signifie que les DFQF représentent
une préférence tarifaire énorme pour plusieurs
produits. Malgré cela, la croissance des importations
de produits agricoles par les PMA a été
marginale, ce qui a poussé la Norvège à revoir
ses SGP.
À l'avenir, les DFQF pourraient se confronter
à un défi supplémentaire; alors que le nombre
de PMA est resté stable au cours des décennies
précédentes, il pourrait se réduire en raison de
la croissance économique. En 2011, seulement
29 des 49 PMA étaient des pays à faible revenu.
Données récentes pour 178 pays: (Services and
Development: The Scope for Special and Differential
Treatment in the GATS, Melchior et al.,
2012) suggère que le nombre de pays à faible
revenu a diminué rapidement (de 59 en 1999 à 34
en 2009). Cette tendance devrait se poursuivre,
et conduire à une réduction dans le groupe des
PMA, avec plus de pays 'affranchis'. L'importance
des avantages étendus aux PMA va donc
diminuer avec le temps, ce qui ne manquera pas
d'affecter les affranchis.
Plus de marches dans l'échelle du TSD?
Puisque les 'deuxièmes pays les plus défavorisés'
ont acquis une plus grande capacité
d'exportation, le TSD peut favoriser le commerce
en étendant ses avantages aux pays à revenu intermédiaire.
En particulier, les pays à revenu faible
représentent une part considérable non seulement
de la pauvreté dans le monde, mais aussi
du commerce mondial. Si ces pays obtiennent un
accès facilité aux marchés, le commerce va certainement
se développer, avec un impact positif
sur le développement. Cependant, lorsque les
pays deviennent plus compétitifs, ils deviennent
également des concurrents plus forts, ce qui peut
conduire à une certaine résistance à la libéralisation
parmi certains groupes d'intérêts.
Les DFQF norvégiens ont eu un impact
modeste sur le commerce dans les PMA; ils ont
donc été étendus à 13 autres pays à faible revenu
lors d'une réforme des SPG en 2008. Les avantages
étendus des SGP ont aussi été accordés aux
PRITI en 2013, même s'ils étaient moins étendus
que les DFQF. Certains pays dont la population a
dépassé le seuil de 75 millions, tels que la Chine,
ont été exclus de ces avantages supplémentaires;
probablement une réponse à l'opposition du
lobby des fermiers norvégiens, peu enthousiaste
au sujet des DFQF pour les PRITI, craignant la
concurrence de l'Inde et d'autres pays avec un
potentiel plus grand d'exportation. En dépit de
cette limitation, les réformes norvégiennes, surtout
la première étape en 2008, pourraient être
considérées comme généreuses.
Le SGP norvégien comprend trois étapes:
des DFQF pour les PMA et les pays à faible
revenu, un régime intermédiaire pour les PRITI
à l'exception des grands pays, et des SPG 'ordinaires'
pour les PRITS. La catégorie intermédiaire
a été ajoutée afin d'éviter l'affranchissement des
DFQF menant à une détérioration massive de
l'accès aux marchés. Cette question sera bientôt
d'actualité lorsque le nombre de pays à faible
revenu et de PMA diminuera et que plusieurs
d'entre eux s'affranchiront.
Une autre approche de la différentiation du
TSD est le système SGP+ appliqué par l'UE et
les États-Unis, qui n'est pas basé sur le critère
des revenus. L'UE accorde le SGP+ aux pays
ayant ratifié et mis en oeuvre des conventions
internationales sur les droits de l'homme et le
droit du travail, l'environnement et la bonne
gouvernance.
À l'OM C, le seul groupe distingué clairement
pour le TSD est celui des PMA, ce qui a
donné lieu à des litiges. Il y a quelques années,
l'Inde a soumis au système de résolution des
différends de l'OM C un différend concernant
l'un des accords SPG+ de l'UE – le régime des
'pays qui luttent contre les drogues' pour certains
pays d'Amérique latine. La décision dans ce cas
suggère qu'en matière de TSD/SGP, la discrimination
entre sous-groupes de PED est possible,
pour autant qu'elle soit faite sur la base de critères
objectifs et généraux liés au développement
(Trade policy differentiation between developing
countries under GSP schemes, Melchior,
2005). Par exemple, les critères de revenu (seuils
de la Banque mondiale ou autres) pourraient être
utilisés.
Le TSD représente encore une part importante
du système commercial multilatéral. Mais
les définitions sont peu claires et les pratiques
changent en fonction des pays. Il n'existe pas de
consensus au sujet du groupe de bénéficiaires, et
la croissance économique pourrait se rétracter
dans les pays à faible revenu et dans les PMA,
ce qui pourrait conduire à de sérieux problèmes
concernant l'affranchissement des PED et la
différentiation entre eux. Pour répondre à cela,
l'on pourrait espérer que l'OM C et la CNUCED
trouveront le temps – et le courage – d'établir des
principes clairs dans ce domaine.