Nul
n’ignore le potentiel du commerce en matière de réduction de la pauvreté, si ce
n’est peut-être dans le secteur de la mode. La mode est un des secteurs les
plus mondialisés, qui emploie plus de 60 millions de personnes, essentiellement
des femmes et des travailleurs non qualifiés d’économies pauvres. Et ce secteur
est en pleine expansion. Selon Datamonitor, en 2010 la valeur du marché des
textiles, des vêtements et des articles de luxe atteignait $E.-U. 2 597,8
milliards et a connu une croissance de 4,2%, d’année en année, entre 2006 et
2010.
Et pourtant
les scandales impliquant des ateliers clandestins restent monnaie courante dans
ce secteur, de nombreux travailleurs étant exploités, notamment ceux des
communautés désavantagées qui ignorent bien souvent leurs droits. Dans son
livre de 2011 intitulé To Die For, Lucy Siegel, chroniqueuse spécialisée
en éthique pour le magazine Observer, estime qu’entre 20% et 60% de la
production de vêtements sont le fruit du travail à domicile de travailleurs
informels.
Mais une
révolution se trame dans le milieu de la mode. Les consommateurs se posent en
effet des questions d’éthique sur les pratiques de travail et l’impact
environnemental, entre autres. Les acteurs du secteur ont donc dû changer
d’attitude et de nouveaux débouchés ont été offerts aux micro-entreprises de
pays en développement. Le Programme communautés pauvres et commerce de l’ITC
(PCTP) tire parti de ces changements pour faire entrer les micro-entrepreneurs
(essentiellement des femmes) dans les chaînes de valeur internationales.
De Kiberia à
Kensington
Le rapport de l’ITC Accès
au marché, transparence et équité dans le commerce mondial: Des exportations
pour un développement durable, estime que des hordes de pauvres du monde
ont été exclues des avantages découlant du commerce. Mais l’assistance
technique aux communautés marginalisées ne suffit pas. Des actions ciblées sur
le développement humain et l’autonomisation des populations sont nécessaires
pour surmonter les nombreux obstacles érigés par la pauvreté extrême. C’est
précisément là l’objet du PCTP: rassembler les communautés les plus pauvres du
monde pour travailler au côté de grands noms de la mode. Ce faisant, les
volumes exportés par les pays à faible revenu et par les PMA en particulier,
augmentent, une attention particulière étant par ailleurs accordée aux
communautés marginalisées.
Cette
approche ne vise pas à doper la demande de ‘mode éthique’, mais plutôt à
convertir le milieu de la mode à davantage d’éthique. Pour cela, le programme
travaille en partenariat avec des marques suffisamment connues pour influencer
le marché, ou avec de gros détaillants susceptibles d’assurer une large
diffusion des produits et des messages. Ces partenaires reconnaissent que la
loyauté du client revêt la plus haute importance dans un secteur très changeant
et dont le marché est saturé, et que le respect des individus et de la planète
sont les principaux facteurs de loyauté.
Au jour d’aujourd’hui, le PCTP a permis à plus de 7000 micro-fabricants
d’Afrique de l’Est de trouver des emplois équitablement rémunérés. L’impact sur
les populations a été substantiel. Des améliorations majeures ont été
enregistrées en matière de logement, d’éducation, de sécurité alimentaire,
d’accès aux soins de santé et à l’eau. Une bénéficiaire, Mercy Waweru, a réussi
à acheter une maison grâce aux commandes enregistrées sur une année dans le
cadre du programme. La qualité s’est également améliorée. Les résultats des
évaluations de l’impact social ont montré que de 80% à 90% des personnes
associées au programme se sentent autonomes et participent davantage aux
processus décisionnels.
Tous gagnants
Les communautés
africaines ne sont toutefois pas les seules à bénéficier de cette initiative.
Les partenaires du secteur privé sont aussi gagnants, l’approche étant axée sur
le marché, et les liens entre le marché international et les micro-fabricants
reposant sur des relations commerciales réelles.
Dans un
premier temps, nombre d’entreprises hésitaient à faire fabriquer leur
marchandise à grande échelle en Afrique. Et pourtant, la production de
collections à succès, parfois entièrement fabriquées en Afrique, a attiré un
flux régulier de nouveaux acheteurs vers l’initiative. La créatrice britannique
Vivienne Westwood a rejoint le programme en 2010 avec une modeste collection de
950 sacs diffusés en ligne par le détaillant yoox.com. En l’espace de quelques
semaines, le site était en rupture de stock et de nouvelles commandes ont
urgemment été passées. Westwood a commandé 3 500 sacs pour sa deuxième
collection et les ‘Africa Bags’ ont été présentés dans sa ligne Gold Label
pendant la Semaine de la mode de Paris. La cinquième collection est en cours de
préparation au centre de développement de produits de Nairobi. Tout comme Vivienne
Westwood, de nombreux créateurs et détaillants ont pris conscience du fait que
la mode responsable pouvait les rendre plus compétitifs et améliorer leur image
de marque.
Un système unique
Si l’industrie de la
mode trouvera toujours l’inspiration dans la richesse des cultures, matières et
artisanats africains, des infrastructures de production et commerciales fiables
et durables sont nécessaires. Pour cela, le PCTP soutient de nouvelles
installations commerciales à Nairobi pour coordonner la production en Afrique.
Ces infrastructures reposent sur un intermédiaire à but non lucratif entre les
communautés et l’industrie. Les acheteurs conçoivent les produits avec le
concours du PCTP, en utilisant les capacités et matériaux disponibles au sein
des communautés. Les bénéfices obtenus de ces transactions commerciales sont
ensuite réinvestis dans des activités sociales définies par ces mêmes
communautés et mises en œuvre par le biais d’ONG spécialisées.
Cette structure a été mise en place pour améliorer la responsabilité
sociale. L’ensemble des opérations et des procédés de production suivent un
cahier des charges très strict établi sur les conseils de la Fair Labour
Association, laquelle garantit des pratiques du travail équitables et des
salaires bien supérieurs au salaire national moyen (généralement au moins deux
fois plus élevé). Les artisans sont payés à la pièce en fonction de leur niveau
de compétences, et ils dégagent des revenus de KSH 500 à KSH 1000
(environ $E.-U. 5 et $E.-U. 10) par jour. Cette rémunération est de
loin supérieure au salaire journalier moyen versé pour le même type de travail,
soit environ $E.-U. 3,90 par jour pour les travailleurs occasionnels, sur la
base du salaire minimum fixé par le Gouvernement du Kenya (notification
juridique n° 96 du 18 juin 2010). Les thématiques environnementales
figurent en bonne place dans ce système: les procédés respectueux de
l’environnement ont la préférence, et l’utilisation de matériaux recyclés,
biologiques et locaux est la règle.
Aujourd’hui le PCTP
collabore avec un certain nombre d’acteurs clés du secteur privé, tels que
Vivienne Westwood, Stella McCartney, Carmina Campus, Coop Italia et Walmart. Le
travail réalisé dépasse la simple délocalisation des lignes de production. Il
permet la fabrication d’articles de mode de grande qualité sur fond de
responsabilité sociale des entreprises.