Les mesures correctives commerciales sont l'exception aux
principes de libre échange prônés par l'OMC. Ces procédures sont
également les seules, dans le système de l'OMC, à octroyer un rôle
actif à la communauté des affaires. Les gouvernements ne prennent
des mesures correctives commerciales qu'à l'instigation des
entreprises locales ou pour des raisons commerciales.
L'OMC a déterminé trois types principaux de restrictions à
l'importation en tant que mesures correctives commerciales.
- Les mesures antidumping. Ce sont les
plus courantes pour contrecarrer des prix exagérément bas. L'Accord
Antidumping considère que des marchandises sont proposées à des
prix déloyaux lorsque les compagnies les exportent à des prix plus
bas que ceux pratiqués sur le marché national. Le dumping n'est pas
illégal en soi, mais il le devient lorsqu'il cause un dommage aux
entreprises du pays importateur. Pour entamer une enquête sur un
cas de dumping, les entreprises locales doivent apporter les
preuves du tort qu'elles subissent et établir un lien entre les
prix pratiqués et leur dommage. En général, cela se fait au moyen
d'une plainte écrite auprès de l'autorité nationale compétente (par
exemple le Ministère du commerce). Cet organe établira un accusé de
réception à la «demande dûment documentée» qu'il enverra au
gouvernement du pays exportateur. L'autorité nationale peut, dans
des «circonstances spéciales», entamer une enquête sans avoir reçu
de plainte de la part des entreprises. Dans tous les cas, les
parties intéressées reçoivent une copie du document entamant la
procédure (qui inclut une copie de la demande). L'autorité
nationale émet également un avis ou un rapport public.
- Les droits compensateurs. Ils
contrebalancent les subsides octroyés par des gouvernements
nationaux qui permettent à leurs entreprises d'exporter de manière
déloyale à des prix très bas.
- Les mesures de sauvegarde. Elles ne
compensent pas une pratique déloyale, mais elles permettent aux
pays de suspendre temporairement des vagues d'importations pour que
les entreprises locales puissent s'adapter à la concurrence
étrangère sur les marchés nationaux.
Toutefois, si un pays est suspecté de rompre les règles en
imposant des limites pour des raisons injustifiées, d'autres
membres de l'OMC peuvent les attaquer dans le cadre du système de
règlement des différends.
Les entreprises en souci
Le secteur du commerce et les experts en droit des pays en
développement et en transition ont rapporté des difficultés dans
l'interprétation et l'application des mesures correctives
commerciales. Dans l'intention d'aider les fonctionnaires et les
hommes d'affaires de ces pays à comprendre les travaux concernant
le système des mesures correctives commerciales, le programme World
Tr@de Net du CCI a mis sur pied des ateliers régionaux, en Asie et
en Europe centrale et orientale, pour expliquer les règles et les
pratiques en vigueur aux États-Unis, dans l'Union européenne (UE)
et au Canada, et leurs incidences sur le commerce. Les participants
ont évoqué les préoccupations suivantes.
- Des procédures compliquées et
longues. Au cours des enquêtes antidumping, l'UE ne
donne aux exportateurs que 37 jours pour remplir son questionnaire.
En outre, la reddition de comptes et les étalons de l'UE peuvent
être très différents de ceux de leur propre pays. Les participants
ont donc demandé une meilleure coopération de la part des
représentants de l'UE au cours des enquêtes.
- Usage de l'échantillonnage. Lorsque
l'UE enquête sur un groupe d'entreprises, il peut choisir certaines
d'entre elles comme «échantillons » pour une enquête plus
approfondie et utiliser ces résultats comme base pour décider si le
groupe entier à eu recours au dumping. Ce système manquant de
précision, les exportateurs non inclus dans le groupe échantillon
peuvent considérer qu'ils sont pénalisés à tort.
- Décisions simultanées. Les
exportateurs des pays en développement doivent parfois faire face
simultanément à des décisions en matière de lutte contre le dumping
et de droits compensateurs. De telles pratiques sont trop lourdes
pour les entreprises de ces pays. Les participants ont suggéré que
les pays industrialisés se mettent d'accord pour ne prendre qu'une
seule mesure corrective commerciale à la fois.
- Non-transparence des règles. Parfois,
les autorités d'un pays sont dotées d'un pouvoir discrétionnaire.
Les participants ont demandé des règles plus transparentes.
- Manque d'expertise et de ressources.
Les participants ont souligné le manque d'expertise et de
ressources des pays en développement, qui n'ont pas les moyens de
recourir à des experts en droit international, notamment en qui
concerne les règles de l'OMC. Ils ont aussi exprimé le besoin de
renforcer les liens entre les milieux d'affaires et le
gouvernement.
- Pays à économie planifiée. Une des
préoccupations principales des économies en transition, à savoir
les économies auparavant planifiées au niveau central, est que
l'Accord Antidumping n'offre pas assez d'éléments pour son
interprétation. Ainsi, le traitement des pays à économie planifiée
varie beaucoup selon l'interprétation de chaque pays importateur.
Par conséquent, un pays exportateur peut être traité selon un
statut différent suivant les marchés. Si les autorités d'enquête
hésitent à décider si un pays possède une économie planifiée ou
non, elles peuvent demander aux exportateurs de remplir deux
questionnaires, l'un destiné aux pays à économie de marché, l'autre
prévu pour ceux à économie planifiée. Par ailleurs, être classé
parmi les pays à économie planifiée entraîne presque
automatiquement d'être soupçonné de dumping.
Quelques recommandations
Les participants au séminaire ont évoqué les difficultés
rencontrées par les exportateurs pour préparer un dossier avant,
pendant et après une enquête possible en matière de dumping. Voici
quelques suggestions pour surmonter de telles difficultés.
Avant l'enquête
- Les compagnies susceptibles d'être accusées devraient bien
connaître les tendances de leurs exportations et leurs profits,
ainsi que ceux de leurs concurrents.
- Lorsque leurs profits baissent ou même qu'elles subissent des
pertes, particulièrement dans des secteurs d'activité sensibles
comme l'acier ou les textiles, il n'est pas conseillé aux
entreprises de compenser en augmentant les exportations. Une chute
des profits se produisant parallèlement à une hausse des
exportations peut conduire à penser qu'il y a dumping. Les
compagnies devraient avoir des arguments cohérents, des preuves et
des données solides pour étayer leur défense.
- En ce qui concerne les États-Unis, les exportateurs doivent
être attentifs à des signaux de danger tels que la détérioration
des résultats financiers des producteurs américains ou une
augmentation des parts de marché, car les lois américaines
facilitent les plaintes des compagnies nationales contre la
concurrence étrangère si elles connaissent des problèmes
financiers.
Une fois la procédure entamée
- Comme les entreprises n'ont pas le statut légal pour engager
des plaintes auprès de l'Organe de règlement des différends de
l'OMC,
elles doivent faire appel à leurs autorités nationales pour
entamer la procédure. Il n'est pas certain que la plainte
aboutisse, et cela prend en général beaucoup de temps. C'est
pourquoi, lors d'un conflit relatif aux mesures correctives
commerciales, il vaut peut-être mieux recourir d'abord aux
solutions qui se trouvent dans les lois nationales.
- Les exportateurs accusés devraient rapidement fournir des
données et produire des renseignements détaillés (surtout
lorsqu'ils traitent avec les autorités américaines). Les
entreprises doivent être préparées pour toute visite de contrôle
des planificateurs des mesures correctives commerciales.
- Un pays dont une entreprise se trouve examinée peut demander un
délai supplémentaire pour répondre au questionnaire. Il peut aussi
exiger le texte complet du dossier d'enquête et préparer une
réfutation détaillée de l'accusation.
- Les parties peuvent demander la protection des renseignements
confidentiels, obtenir l'accès à l'information non confidentielle
avancée par l'autre partie et faire des propositions fondées sur
cette information.
- Les entreprises devraient accompagner de pièces justificatives
toute information verbale fournie aux autorités.
- Les exportateurs devraient être informés si les autorités
décident de procéder à une enquête sur le terrain.
- Pour les enquêtes menées selon le droit américain, les
exportateurs devraient identifier leur choix au plus vite: si elles
veulent être incluses dans l'échantillon pour déterminer les droits
et, par conséquent, être soumises à une marge individuelle, ou si
elles optent pour ne pas en faire partie et bénéficier ainsi des
droits usuels.
- Les parties ont le droit d'être informées à temps sur les faits
essentiels qui déterminent la décision finale, de façon à être en
mesure de défendre leurs intérêts. Les entreprises examinées
devraient revendiquer ce droit.
- Les négociations intergouvernementales peuvent éviter
l'introduction d'une plainte auprès de l'OMC et les frais d'un
différend, surtout si la partie plaignante n'a pas de bons
arguments, ce que les pays accusés devront déterminer.
Au-delà de l'antidumping
- Lorsqu'une mesure antidumping est imposée, les démarches ne
sont néanmoins pas épuisées. Le pays exportateur peut encore faire
appel auprès de l'Organe de règlement des différends de l'OMC. Il
devrait immédiatement mettre en marche le processus en demandant
une réunion et en nommant des experts. Pour épargner temps et
argent, le pays exportateur ne devrait mettre en évidence que le
point le plus faible de l'accusation et non les détails.
Le CCI vient de mettre à jour un guide sur les procédures
antidumping, qui contient des renseignements détaillés et des
listes de contrôle de décisions: Antidumping Proceedings:
Guidelines for Importers and Exporters, est disponible sur
site web de World Tr@de Net (
http://www.intracen.org/worldtradenet/docs/information/referencemat/anti_dumping_proceedings.pdf).
Mesures correctives commerciales: les
faits
En 2001, les États membres de l'OMC ont déclaré avoir introduit
348 procédures antidumping, imposé 27 décisions en matière de
droits compensateurs et pris 19 mesures de sauvegarde. Pour la
première fois, les pays en développement furent la majorité à
introduire des enquêtes antidumping.
Durant la seconde moitié de 2001, la Chine a pris la tête d'un
groupe de pays dont les exportations étaient examinées (25 cas, sur
32 au départ); le Brésil, le Taipei chinois, la Thaïlande et les
États-Unis suivaient. L'Inde est le pays qui a entamé le plus
d'enquêtes (51, et jusqu'à 21 durant le deuxième semestre de l'an
2000). Les États-Unis se plaçaient au deuxième rang (35, sur 38
demandées) et l'Argentine en troisième position (16, pour 34 au
départ). Les enquêtes portaient sur de nombreux produits issus du
fer, de l'acier et de l'aluminium (60), notamment 33 des 35
procédures américaines. Les produits chimiques (41) et plastiques
(34) venaient en deuxième position; 28 des 51 procédures entamées
par l'Inde concernaient les produits chimiques, et 12 parmi les 13
enquêtes turques portaient sur les produits plastiques.
Toutefois, les 79 mesures antidumping imposées en fin de compte
sur les exportations de 33 pays ou territoires douaniers
représentaient une forte baisse comparé aux 107 enquêtes effectuées
au cours du deuxième semestre 2000. Les États-Unis ont entamé le
plus grand nombre d'entre elles (21), soit une hausse notable par
rapport à huit, talonnés par l'Inde (20). L'Union européenne et
l'Argentine ont adopté chacune 11 décisions (au départ 32 pour
l'UE). Au total, 21 mesures furent imposées à la Chine, et six au
Taipei chinois.
Les principaux marchés
- États-Unis. Les compagnies
américaines sont celles qui font le plus souvent appel aux lois sur
les mesures correctives commerciales. Outre les mesures
antidumping, les droits compensateurs et les mesures de sauvegarde,
les mesures correctives commerciales américaines comprennent des
décisions légales contre les importateurs qui enfreignent la
propriété intellectuelle de toute firme américaine (Section 337 de
la Tariff Act (Loi douanière) de 1930) ou les obstacles du marché
limitant les exportations américaines vers un pays tiers (Section
301 de la Loi sur le commerce de 1974).
Les mesures antidumping et les droits compensateurs sont les
plus fréquemment utilisés. En 2001, les États-Unis ont introduit 79
plaintes antidumping (910 plaintes avaient été déposées depuis
1980) et 18 enquêtes en vue de droits compensateurs (340 cas depuis
1980). La fréquence des enquêtes augmente lorsque l'économie
s'affaiblit. Le nombre de cas de droits compensateurs a baissé peu
à peu, car les entreprises américaines se sont aperçues que les
mesures antidumping sont plus efficaces. Les compagnies étrangères
du secteur sidérurgique sont les plus touchées (près de la moitié
des cas récents).
- Union européenne. Même si les
décisions en matière d'antidumping sont les mesures correctives
commerciales les plus utilisées par l'Union européenne (27 cas en
2001), les demandes de droits compensateurs ont augmenté ces
dernières années, montrant une volonté croissante de s'opposer aux
subsides gouvernementaux, qui sont considérés comme des facteurs de
distorsion du marché. Dans plusieurs cas, les institutions
européennes ont ouvert simultanément des enquêtes antidumping et en
matière de droits compensateurs. Ces procédures sont extrêmement
lourdes pour les exportateurs, qui doivent produire dans des délais
très brefs des renseignements détaillés sur les supposés subsides
ou le dumping.
Par ailleurs, les lois européennes sur les mesures correctives
commerciales stipulent que les mesures antidumping et les droits
compensateurs doivent être «dans l'intérêt de la Communauté»,
donnant ainsi aux institutions toute discrétion sur le moment où
elles sont appliquées. Avant de décider, les institutions prennent
en considération les intérêts, en Europe, des consommateurs, de la
concurrence et des industries liées en amont et en aval.
Pour plus d'information, veuillez consulter http://www.intracen.org/worldtradenet
Jean-Sébastien Roure est Expert Associé sur les aspects
juridiques du commerce extérieur du CCI (roure@intracen.org). Prema de
Sousa a contribué à l'élaboration de cet article.
Cet article se fonde sur les guides spécifiques sur les
mesures correctives commerciales publiés par le CCI, et sur des
conclusions tirées des ateliers organisés par World Tr@de
Net.