La perception courante, dans les pays industrialisés, est
qu'avec la mondialisation les obstacles à l'accès aux marchés pour
les pays en développement ont presque disparu. Il est considéré que
le Programme de Doha pour le développement, de récents accords
bilatéraux et régionaux et des diminutions volontaires concernant
les obstacles à l'accès aux marchés en faveur des pays les moins
avancés (PMA) et des pays en développement ont sensiblement
augmenté l'accès aux marchés.
Les pays industrialisés ont effectivement pris des mesures pour
améliorer l'accès aux marchés des pays en développement. Ils ont
étendu l'accès préférentiel pour des marchandises provenant des
pays en développement et diminué les droits de douanes sur les
marchandises importantes pour ces pays.
Une affaire en suspens
Pourtant, les milieux d'affaires et les responsables de la
politique commerciale des pays en développement sont préoccupés par
ce qu'ils perçoivent comme la persistance, voire l'aggravation, des
obstacles à l'accès aux marchés d'exportation. Ils soutiennent que
les niveaux de protection sont sous-estimés: de multiples
instruments protectionnistes - droits spécifiques, mesures
antidumping, contingents tarifaires ainsi qu'une pléthore
d'obstacles non tarifaires - ne sont pas pris en compte.
L'accès aux marchés constitue-t-il un problème de plus en plus
aigu? Une récente étude du CCI, fondée sur la nouvelle base de
données du CCI sur l'accès aux marchés Market Access Map, va dans
ce sens.
Trois barrières gênent un meilleur accès aux marchés. En premier
lieu, les droits spécifiques sont répandus; ils sont moins
transparents que les droits de douanes ordinaires (ad valorem) et
ils tendent à discriminer les pays en développement. En deuxième
lieu, les prix des produits de base ont dégringolé. Si les droits
de douanes se calculaient ad valorem (en pourcentage de la valeur
totale), les droits payés réellement devraient avoir diminué
parallèlement aux prix. Comme les droits spécifiques sont en fait
très importants, surtout en ce qui concerne les produits de base,
les pays en développement et les PMA subissent une augmentation de
la protection. De plus, la part des exportations des PMA avec des
accès hors taxes va en diminuant. En troisième lieu, les obstacles
non tarifaires (normes de sécurité alimentaire, certification
environnementale, etc.) sont en augmentation: dans le cas des PMA,
ils sont particulièrement dangereux.
Premier obstacle: les droits spécifiques
Les droits spécifiques, perçus sur la quantité plutôt que sur la
valeur, sont le premier obstacle à un meilleur accès aux marchés.
Les incidences négatives de ces droits (plus fréquents dès la fin
du Cycle d'Uruguay) annulent les bénéfices de droits plus bas ou ad
valorem.
La plupart des pays appliquent des droits ad valorem, soit un
pourcentage sur la valeur totale d'un produit. Toutefois, certains
pays perçoivent plutôt des droits spécifiques. C'est le cas pour
les produits agricoles, qui demeurent la majorité des exportations
des pays en développement et surtout des PMA. Cette situation
trouve son origine durant le Cycle d'Uruguay, dans le cadre duquel
les pays se sont accordés pour convertir les quotas (restrictions
quantitatives) et les impositions variables sur les produits
agricoles en droits de douane.
Les droits spécifiques tendent à discriminer les exportations
provenant de pays à faibles revenus, leurs producteurs se
spécialisant souvent dans les segments de qualité et de prix bas
sur les marchés d'exportation.
Alors que les droits ad valorem sont transparents, ce n'est pas le
cas des droits spécifiques. Quand le prix d'un produit et les taux
de change fluctuent, les droits ad valorem varient
proportionnellement.
Par ailleurs, les droits spécifiques restent liés à la quantité.
Lorsque le prix des produits de base chutent, les droits
spécifiques restent les mêmes. Par conséquent, l'accès aux marchés
devient proportionnellement plus difficile lorsque les prix
baissent. La protection est la même dans le cas de droits
spécifiques de US$ 20 par tonne ou de droits ad valorem de 20%
lorsque le prix vaut US$ 100 la tonne. Cependant, si le prix du
produit passe à US$ 50 la tonne, les droits spécifiques équivalent
à un niveau de protection de 40%.
Pour estimer correctement les niveaux de protection globaux, il
faut mesurer les effets combinés des droits ad valorem et des
droits spécifiques. Pour les combiner, il faut calculer d'abord
l'équivalent ad valorem des droits spécifiques.
Deuxième obstacle: la chute des prix des produits de base
Les prix des produits de base sont actuellement à leur niveau le
plus bas depuis le milieu des années 1990. Même si les pays
diminuent les droits spécifiques, cela ne signifie pas un
abaissement des barrières si les prix baissent plus vite.
Le CCI a examiné si les protections douanières ont effectivement
diminué depuis la signature de l'Accord de Marrakech (qui a fixé
les nouvelles règles du système commercial multilatéral). Cette
analyse a couvert la période de 1996 à 2001 et s'est concentrée sur
les exportations de produits agricoles et de textiles et vêtements
des pays en développement et des PMA vers les pays de l'OCDE.
Agriculture
Dans l'esprit du Cycle d'Uruguay et en excluant les effets
sur les prix, les droits de douane pour les exportateurs de
produits agricoles des PMA devraient avoir diminué de deux tiers
entre 1996 et 2001. Toutefois, en raison de la baisse des prix des
produits de base, les équivalents ad valorem n'ont baissé que d'un
quart, soit de 5,1% en 1996 à 3,9% en 2001. En outre, les niveaux
effectifs de protection relatifs aux produits agricoles ont varié
jusqu'à 50% d'une année à l'autre, en raison de la fluctuation des
prix des produits de base et de l'application des droits
spécifiques.
Textiles et vêtements
Pour les exportateurs de textiles et vêtements des PMA, la
protection douanière en termes d'équivalents ad valorem a augmenté:
les obstacles des pays de l'OCDE ont passé de 3,0% à 5,5% pour les
textiles et de 7,5% à 8,3% pour les vêtements en provenance des
PMA. Pour les exportateurs de textiles et vêtements des pays en
développement, les barrières ont diminué marginalement - moins de
10% du niveau de 1996.
Troisième obstacle: les barrières non tarifaires
Les obstacles douaniers quantifiables ne sont pas les seuls que
doivent subir les exportations des pays en développement. Une étude
récente du CCI montre que les PMA sont les plus exposés aux
barrières non tarifaires (
voir Forum du
commerce 2/2001). Des exemples incluent les
normes de santé animale et végétale, celles relatives à la sécurité
alimentaire, à la certification environnementale et à la qualité à
l'exportation.
Il est stupéfiant de constater que 40% des exportations des PMA
sont sujettes à des obstacles non tarifaires. Pour les économies en
développement et en transition et les pays industrialisés, ce
chiffre ne s'élève qu'à 15%.
Même avec des accords préférentiels qui octroient aux PMA un accès
hors taxes aux marchés, les obstacles non tarifaires peuvent
empêcher ces pays d'entrer sur certains marchés. Cela peut obliger
les exportateurs à diversifier leurs échanges sur des marchés où
existent peu d'obstacles non tarifaires mais dotés de droits de
douanes plus élevés. En fait, entre 1996 et 2001, la part des
exportations des PMA hors taxes - en excluant le pétrole et les
armes - est tombée de 81% à 69% (
voir encadré sur les
exportations des PMA). Une telle situation n'est pas en accord
avec l'esprit du Cycle d'Uruguay.
Un regard nouveau
Les exportateurs des pays en développement vont devoir entamer une
lutte ardue.
- Les droits spécifiques, largement appliqués, portent préjudice
aux fournisseurs à bas coût et à bas prix.
- Les prix des produits de base en baisse sont un double fléau:
non seulement les exportateurs gagnent moins de devises, mais ils
se heurtent à des obstacles à l'accès aux marchés plus élevés.
- Les obstacles non tarifaires se multiplient, affectant
particulièrement les exportations des PMA.
Il est vrai que des efforts ont été faits pour améliorer l'accès
aux marchés pour les pays à faibles revenus. De plus, les
conditions d'accès aux marchés ne sont pas le facteur le plus
déterminant de la compétitivité internationale.
Pourtant, l'accès aux marchés s'est à peine amélioré pour les
exportateurs de produits agricoles et de textiles et vêtements des
pays en développement. Les PMA sont perdants sur tous les fronts:
les obstacles à l'accès aux marchés ont effectivement augmenté, la
part de leurs exportations qui pénètrent sur leurs marchés cibles
hors taxes est en baisse et ils sont particulièrement exposés aux
barrières non tarifaires.
Il faut donc réexaminer les idées courantes sur l'accès aux
marchés. En effet, Il existe plusieurs facteurs bien ancrés qui
tendent à détériorer les conditions d'accès aux marchés pour les
exportateurs des pays en développement. Ces facteurs sont
difficiles à saisir et par conséquent souvent absents des analyses
des politiques. Il s'ensuit qu'il est déterminant de renforcer la
capacité d'analyse et de négociation des responsables de la
politique commerciale, de la communauté des affaires et d'autres
parties prenantes des pays en développement, afin d'assurer que le
Programme de Doha pour le développement porte bien son nom.
Prix des produits de base en baisse

Accès aux marchés: la réalité
Dans les pays de l'OCDE, les PMA et les pays en développement sont
confrontés à de surprenants obstacles à l'accès aux marchés
concernant les exportations de produits agricoles et de textiles et
vêtements. Voici les niveaux de protection pour la période
1996-2001. Les calculs se fondent sur les droits ad valorem et les
droits spécifiques (traduits en équivalents ad valorem). Les
niveaux globaux n'ont pas baissé substantiellement. Dans certains
cas (les textiles et vêtements provenant des PMA), ils ont en fait
augmenté.

PMA: Bénéficient-ils de l'accès hors taxes?
En résumé, on constate une baisse.

Analyse des obstacles à l'accès avec Market Access Map
(CCI)
La base de données du CCI Market Access Map aide la communauté des
affaires et les responsables de la politique commerciales des pays
en développement à participer plus efficacement au commerce
international et à tirer parti des négociations commerciales.
Cette base de données complète sur les obstacles à l'accès aux
marchés couvre:
- les droits spécifiques et ad valorem, les contingents
tarifaires et les droits antidumping;
- les principaux schémas de préférence;
- les calculs des équivalents ad valorem bilatéraux au niveau de
la ligne tarifaire, et
- l'élaboration de scénarios de changements tarifaires à partir
des différentes approches et formules de libéralisation
multilatérale.
Les données et analyses de Market Access Map sont disponibles sous
la forme:
- de profils d'accès aux marchés (Market Access Profiles) par
pays, sur CD-ROM, incluant tous les obstacles à l'accès aux marchés
se présentant aux exportateurs et la possibilité d'élaborer un
scénario;
- d'information sur l'accès aux marchés par produits sur TradeMap
(le site internet du CCI avec les statistiques commerciales pour le
développement du commerce international) et le site Market Access
Map (opérationnel dès fin 2003), et
- d'analyses sur mesure approfondies.
Le CCI a développé Market Access Map en étroite collaboration
avec le Centre d'études prospectives et d'informations
internationales (CEPII), la CNUCED et l'OMC. Pour plus
d'information, veuillez contacter la Section d'analyse des marchés
du CCI (macmap@intracen.org).Mondher Mimouni (mimouni@intracen.org) est
Analyste des marchés au CCI, Friedrich von Kirchbach (vonkirchbach@intracen.org)
est Chef de la Section d'analyse des marchés du CCI. Natalie
Domeisen a contribué à l'élaboration de cet article.