Q Pourquoi certains pays comme l'Inde
parviennent-ils à s'intégrer aux secteurs commerciaux en croissance
basés sur les connaissances (comme les logiciels) alors que
d'autres y échouent?
R L'accès à une main-d'œuvre bon
marché et à des matières premières n'entraîne pas forcément la
réussite commerciale. Au contraire, comme l'exemple indien le
prouve, les pays peuvent passer outre les théories classiques d'un
commerce statique et acquérir un avantage comparatif en exploitant
le domaine des nouvelles technologies. Le rapide développement de
l'Inde semble être le résultat de quatre facteurs principaux:
- l'importance accordée à l'éducation, particulièrement dans les
domaines de la technologie de pointe;
- l'augmentation de centres d'apprentissage, tels que l'Institut
indien de technologie, qui comptent parmi les hautes écoles les
plus compétitives du monde, tout comme l'Institut national des
technologies de l'information, qui se concentre sur la formation
technique à grande échelle;
- de bonnes connaissances d'anglais dans la classe moyenne,
et
- une forte émigration de personnes vers les États-Unis et
ailleurs dans le monde, ce qui a conduit à des coentreprises et à
l'externalisation des activités liées aux technologies de
l'information (TI).
Q Quels exemples illustrent le fait que les
technologies de l'information et le capital humain sont essentiels
à l'avantage concurrentiel pour les exportateurs sur le marché
mondial?R La réussite économique de l'Inde, récemment,
n'est pas un cas isolé, mais plutôt le premier exemple de la
croissance de la nouvelle économie. Des pays tels que la Chine, la
Corée, la Malaisie et Singapour ont aussi utilisé les TI et le
capital humain pour construire des industries d'exportation
compétitives. La comparaison entre ces pays et des nations riches
en pétrole ou possédant d'autres ressources naturelles révèle que
ceux qui ont réussi à développer leurs capacités dans les TI et à
former une main-d'œuvre spécialisée expérimentent une croissance
durable beaucoup plus forte que celles dont l'économie repose
encore sur l'exportation de produits de base.
Q Quel est le rôle du gouvernement dans l'appui à
l'innovation?R Pour promouvoir stratégiquement la croissance,
le gouvernement devrait se montrer à la fois stimulant et souple
dans ses rapports avec les innovateurs. Plutôt que d'investir
directement dans des entreprises d'État coûteuses et inefficaces,
il devrait jouer un rôle plus nuancé. Comme les cas des États-Unis
et de l'Asie orientale le montrent, les gouvernements peuvent
encourager l'innovation en établissant les infrastructures
physiques et virtuelles nécessaires aux industries
naissantes.
Bien qu'on ne se souvienne généralement pas du rôle du Gouvernement
américain dans les débuts de l'internet, c'était l'ARPA, l'Agence
pour les projets de recherche, créée par le Département de la
défense américain, qui a été à l'origine de l'ARPANET. Puis
l'internet est né, en tant que projet réunissant des experts issus
du Gouvernement, des universités et des entreprises sur une scène
qui ne fut pas le monopole de l'État.
En Asie orientale, les autorités ont guidé la croissance économique
grâce à l'implantation d'une infrastructure. Outre la création de
zones d'industries d'exportation hors taxes et la construction de
ports, de routes et de locaux, ces pays ont établi un cadre légal
et technologique qui permet aux industries de prospérer. Singapour
est à l'avant-garde de ces efforts incitatifs puisque,
dernièrement, US$ 2,3 milliards ont été dépensés pour la
construction d'un complexe destiné à des laboratoires de recherche
et de développement dans le domaine biomédical. Singapour espère
ainsi attirer investisseurs et spécialistes en offrant des emplois
et des services dans la technologie de pointe au sein d'une
structure légale libérale.
Les gouvernements peuvent aussi stimuler l'innovation grâce à la
promotion des marchés des capitaux. C'est le cas en Corée et au
Japon, où les prêts directs peuvent être sans effets et ont souvent
eu des conséquences économiques néfastes. La réussite du
capital-risque aux États-Unis démontre que l'accumulation des
ressources économiques fondée sur les marchés est une meilleure
option, même si ce type de capital n'est pas la garantie du succès,
comme le montre l'effondrement des sociétés fondées sur l'internet
dès 2000.
Q Quelles leçons pratiques peuvent tirer les dirigeants
qui désirent faire profiter le commerce des technologies de
l'information et de la communication?
R Les gouvernements doivent véritablement intégrer
les nouvelles technologies en élaborant un programme propre aux
technologies de l'information et de la communication (TIC) qui
convienne à leur industrie d'exportation. Les responsables peuvent
avoir à l'esprit les pays qui utilisent les TIC comme référence
mais, pour leur propre croissance, ils doivent aussi échafauder un
programme relatif aux TIC qui réponde aux besoins spécifiques de
leurs propres secteurs d'exportation. Au lieu de chercher à
déplacer la production vers des produits liés aux TIC, ils peuvent
se servir des TIC pour faciliter la croissance nécessaire à leurs
industries d'exportation. Les TIC activent le commerce en diminuant
les coûts de transaction associés aux services d'exportation tels
que le transport, les assurances et les procédures douanières.
Elles permettent également aux exportateurs de réunir de
l'information, de promouvoir leurs produits, d'obtenir des contrats
et de faciliter l'embauche. Bien que la mise en place des TIC peut
se faire de diverses manières, les bénéfices qu'elles entraînent
sont les mêmes, indépendamment du secteur d'activité et de la
situation géographique.
Vinod K. Aggarwal (vinod@socrates.berkeley.edu)
est Professeur au Département des sciences politiques, Professeur
associé de politique commerciale et publique à la Haas School of
Business, et Directeur du Berkeley Asia Pacific Economic
Cooperation Study Center de l'Université de Californie, Berkeley.
Actuellement, il est membre associé du Woodrow Wilson Center for
International Scholars, Washington, D.C. Il est le fondateur et le
rédacteur en chef du journal Business and Politics. Le Dr Aggarwal
tient à remercier Janna Bray de son aide, notamment ses recherches
approfondies et ses commentaires.