La poétesse Muriel Rukeyser disait: 'l'univers est composé
d'histoires, pas d'atomes'. Les histoires sont une des grandes
forces de l'univers; elles peuvent nous rassembler ou nous diviser;
nous faire rire ou pleurer ou nous charmer; nous offrir des règles
de conduite et des raisons d'être. Elles nous aident à donner du
sens au monde et à trouver notre place. Nous nous approprions les
bonnes histoires et y ajoutons notre touche avant de les faire
circuler.
Je travaille pour une entreprise dont le rôle est de raconter
des histoires aux consommateurs pour le compte de nos clients; des
histoires qui parlent de produits, de leurs effets, et du
comportement de l'entreprise. Les consommateurs sont essentiels à
la tournure des histoires car ils font vivre le secteur privé
via les entreprises et les marques. Il est très important
d'admettre que la nature de ces histoires évolue ainsi que le
contexte de la narration.
La révolution mondiale de l'information crée une nouvelle
culture fondée sur une transparence totale et une nouvelle
méritocratie.
Débutons par une histoire
Il y a deux ans, un détaillant américain, ABC Home Furnishings, a
autorisé deux chercheurs d'Harvard à mener une expérience sur deux
lots de serviettes dans un de leurs magasins. Un lot portait une
étiquette avec le logo 'Juste et équitable' et la mention: 'Ces
serviettes ont été fabriquées dans des conditions de travail
équitables, dans un environnement professionnel sain et
sécuritaire, exempt de toute discrimination et dans le respect des
droits et de la dignité des travailleurs.' L'autre lot ne portait
aucune étiquette.
Pendant cinq mois, les chercheurs ont observé ce qui se passait
lorsqu'ils changeaient la donne en apposant l'étiquette sur le
second lot et en augmentant les prix. Dans les deux cas, ils ont
constaté un envol significatif des ventes.
Cette expérience est simple mais éloquente: les clients sont
prêts à payer plus pour des produits et des marques fabriqués par
des entreprises respectant des normes éthiques plus élevées et, à
parité de prix, ils privilégient les marques respectant des normes
éthiques plus strictes.
Niveaux d'engagement des consommateurs
Je travaille avec certaines des plus grandes entreprises soucieuses
des consommateurs, qui considèrent que le client est roi. Si elles
ne parviennent pas à s'accorder aux besoins et désirs de leurs
consommateurs, elles ferment. Mon travail consiste à me tenir
informé de l'opinion et de la sensibilité des consommateurs, et
d'aider ces entreprises à mieux communiquer avec les consommateurs
dans le but ultime de doper les ventes et d'engranger des profits
plus importants.
Nous serons d'accord sur un point: les consommateurs
s'intéressent de plus en plus aux entreprises socialement,
environnementalement et éthiquement responsables. Les citoyens
s'inquiètent des problèmes vitaux posés à notre planète et veulent
de plus en plus que leurs achats reflètent leurs craintes.
Il suffit de se promener dans les grandes artères des États-Unis
ou du Royaume-Uni pour voir l'effet de la demande en faveur de
produits éthiques. Vous pouvez acheter du café issu du commerce
équitable à un prix majoré chez Starbucks, des vêtements chez
American Apparel en toute sérénité sachant qu'ils ont été fabriqués
aux États-Unis dans de bonnes conditions de travail; vous pourrez
encore satisfaire votre conscience et céder à la tentation avec le
chocolat Green & Black. Même Wal-Mart, symbole du capitalisme
débridé pour certains, affiche désormais le slogan 'Économisez de
l'argent. Vivez mieux' et propose divers produits sous la rubrique
'Économisez. Réduisez votre consommation d'énergie. Protégez
l'environnement'.
Les consommateurs ne lisent pas les rapports d'entreprise pas
plus qu'ils ne recensent les failles des procédures ou des
pratiques d'entreprise mais, plus que jamais, ils ont conscience
que leurs actes d'achat ont une incidence. Certains sont très
informés et veulent en quelque sorte 'faire la différence'.
Dans une étude datant de juin 2008, le Centre Henley
(cabinet-conseil axé sur les consommateurs) a classé divers groupes
de consommateurs en fonction de leur niveau d'engagement -
pionniers, adeptes, défenseurs, perplexes, inertes et cyniques. Les
pionniers changent radicalement leurs habitudes et privilégient les
produits répondant à des normes éthiques et environnementales. Les
adeptes s'apprêtent à leur emboîter le pas. Les défenseurs savent
ce qu'ils sont censés faire mais ne le font pas toujours. Les
perplexes eux s'interrogent.
Comme le montre le tableau, les personnes réellement investies
au point de modifier leur comportement - pionniers et adeptes -
représentent entre 30% et 40% de la population de leur pays. Chose
intéressante, la Chine enregistre un taux supérieur à celui du
Royaume-Uni ou des États-Unis. En incluant les groupes qui font
preuve d'une certaine motivation à consommer éthique, alors on
obtient une majorité de consommateurs. Henley prévoit une avancée
des pionniers et des adeptes dans les prochaines années.
Même les perplexes souhaitent faire la différence pour autant
qu'on leur montre la voie. Au Royaume-Uni, Marks & Spencer a
mené en 2007 une enquête d'envergure portant sur la relation entre
le comportement des consommateurs vis-à-vis des
questions éthiques et leurs achats. Elle a révélé que près de
10% des consommateurs étaient réellement engagés dans une
consommation éthique. Près d'un quart s'en désintéressait
totalement. Mais - tout comme dans l'enquête d'Henley - le restant
se situait au centre: partisan de l'éthique pour autant qu'ils
n'aient pas à faire d'effort pour accorder leurs actes à leurs
paroles.
Marks & Spencer voit là une importante opportunité
commerciale: 75% de leurs consommateurs s'intéressent aux questions
environnementales à divers degrés et nombre d'entre eux veulent
être informés et savoir comment faire la différence sans changer
complètement leurs habitudes.. Marks & Spencer veut assumer ce
double rôle.

Impact de la crise économique
La croissance du commerce éthique posera à n'en pas douter un défi
à court terme du fait de l'intensification des pressions
économiques. Une récente étude de l'Ecole d'économie de Fuqua à
l'Université de Duke indique que les grands responsables
marketing s'intéressent moins qu'il y a un an aux questions liées
aux causes et on a le sentiment que l'achat d'écoproduits répond à
un 'désir d'avoir' plutôt qu'à une nécessité. Ce qui est sûr c'est
que les discussions sur les questions d'environnement ou de
durabilité se sont apaisées. Par exemple, ces thèmes ont été
réduits de moitié dans les communiqués de presse de Wal-Mart entre
septembre 2007 et 2008.
Au vu de la crise économique, il peut sembler naïf de croire que
l'attitude des consommateurs envers les produits éthiques pèsent
d'un grand poids dans nos économies. Les citoyens sont-ils en
mesure de s'intéresser à l'environnement quand leur souci premier
est d'équilibrer leur budget? Les entreprises accordent-elles
toujours autant d'importance aux bonnes pratiques éthiques lorsque
leurs profits se contractent?
Je pense que oui. La tendance à une consommation éthique n'est
pas une bulle prête à éclater. Elle n'est ni cyclique, ni cynique.
Elle marque un changement profond et pérenne de la façon d'acheter
et de vendre. Comme le montre le tableau d'Henley, dans une
certaine mesure, les citoyens considèrent que les achats
éthiques ne sauraient souffrir aucun compromis. Et ce profond
changement résulte de la nouvelle culture mondiale de la
transparence.
La culture de la transparence
Les chefs d'entreprise pourraient conclure du test des serviettes
qu'il suffit de coller une étiquette appropriée pour doper ventes
et rentabilité. Le petit jeu peut durer quelques semaines ou
quelques mois mais si vous ne jouez pas franc jeu et que vous êtes
démasqués, les conséquences pourraient être catastrophiques. Cette
étiquette ne vous autorise à appliquer un surcoût que si elle est
le reflet de la vérité. L'authenticité et l'intégrité sont des
valeurs très appréciées du nouvel ordre de la communication.
En vérité, la construction de la perception de la marque n'a
jamais été le fait d'enpreneurs ou de responsables marketing mais
du public, ou plus précisément de son cœur et de son esprit, dont
les tréfonds sont désormais bien connus de tous.

Si vous tapez 'Coke products' sur Google, vous obtiendrez 480
000 résultats; pour 'Coke employees' plus de 2 millions et 'Coke
environment' près de 3 millions. Les citoyens s'intéressent à la
conduite générale des entreprises. Cette information est librement
disponible sur internet où elle est présentée de manière ordonnée
et attractive.
Plus que jamais auparavant, les entreprises doivent communiquer
en toute franchise et objectivité sur leurs opérations. La majorité
des consommateurs du monde développé, et dans une moindre mesure
ceux du monde en développement, peuvent rechercher, obtenir et
diffuser des informations (qu'il s'agisse de photos, de propos ou
de vidéos) de façon novatrice. Si une entreprise recourt au
travail des enfants, un jour ou l'autre une photo d'un enfant
exploité dans une de ses fabriques sera mise en ligne. Elle
circulera dans les réseaux sociaux et l'entreprise sera
publiquement désavouée. J'appelle cela la 'transparence radicale'
que la génération Google et la suivante considère comme un droit
inné.
Chaque entreprise doit être franche sur ses méthodes
d'approvisionnement, ses processus de fabrication, ses politiques
d'emploi et ses produits. Elle doit s'ouvrir aux consommateurs
avant que ceux-ci ne dévoilent certains faits susceptibles de lui
être préjudiciable. De nombreuses marques - dont Nike, Apple et
Dell - ont fait les frais de cette culture de la consommation.
Mais les entreprises ne doivent pas considérer négativement la
transparence radicale; elle ne représente pas une menace contre
laquelle elles doivent se défendre mais plutôt un avantage à la
fois pour la société et les entreprises.
Pourquoi? En partie parce qu'elle nous oblige à être honnête
et que - comme on vous l'a toujours enseigné - l'honnêteté
finit par payer. Elle incite également au partage d'histoires plus
nombreuses et plus attrayantes avec les consommateurs. Si elles
sont bonnes, ceux-ci se les échangeront en ajoutant leur propre
touche..
Les entreprises les plus prospères ont toujours su communiquer.
Par le passé, leurs messages portaient sur les produits et les
marques, aujourd'hui sur l'entreprise dans son ensemble. La culture
de la transparence ouvre aux consommateurs le monde de
l'entreprise - et les entreprises les plus clairvoyantes ne se font
pas prier pour se livrer.
Elles doivent aussi trouver des moyens de colporter ces
histoires. Dans le monde actuel, la parole de vos amis a plus de
poids que le contenu d'un journal ou d'une publicité. L'ère de
l'information est révolue; place à celle de la recommandation.

Si vous souhaitez dresser le portrait de votre entreprise et de
son activité, vous devez prévoir une diffusion la plus large
possible, autrement dit, l'histoire doit être divertissante: les
gens ne se font l'écho que des propos qu'ils jugent
intéressants.
Prenons le cas d'un de mes clients, Ford - imposante entreprise
monolithique peu réactive au changement par tradition et qui
actuellement s'adapte à cette culture de la transparence. Elle a
subi une concurrence acharnée et traversé des périodes
difficiles. À l'ère de la transparence, son cas n'a pas fait
que la une des revues spécialisées.
La culture de la transparence a horreur du vide. Si vous ne
communiquez pas sur votre entreprise, d'autres le feront à votre
place. Chaque jour, une nouvelle rumeur courait sur la santé
financière de Ford. Les mauvais résultats de Ford ont conduit les
consommateurs américains à s'interroger sur la qualité des
voitures.
Plutôt que de poursuivre normalement son activité, de faire de
la publicité traditionnelle et de feindre que tout va bien,
Ford a décidé de 'jouer franc jeu' et de révéler aux
consommateurs la situation réelle de l'entreprise pour couper court
aux rumeurs.
Plus vous communiquez avec les consommateurs et meilleures sont
les histoires, plus vous captez leur attention, meilleure est la
relation que vous entretenez avec eux et plus forte est la
probabilité qu'ils achètent vos produits. C'est encore tôt pour
juger, mais Ford estime que cela devrait lui permettre de relever
la tête. Ceci n'est qu'un exemple de la façon dont la culture de la
transparence représente une opportunité pour les entreprises.
Les entreprises ont tout intérêt à communiquer sur la façon dont
elles opèrent. Les consommateurs voulant bien assumer un surcoût
pour les produits éthiques, les entreprises qui communiquent le
mieux sur leur responsabilité sociale, ont un bel avenir.
Le capitalisme créatif
Une entreprise socialement responsable n'a rien d'une œuvre
caritative ou charitable. Elle ne reverse aucune partie de ses
profits, excellente chose au demeurant, mais s'intéresse à la façon
dont ces profits sont obtenus.
L'exemple le plus célèbre vient d'une entrepris fondée il y a
plus de 30 ans par Anita Roddick, The Body Shop, qui a fait de la
citoyenneté d'entreprise un des piliers de son modèle d'entreprise.
L'entreprise a été rachetée par l'Oréal pour US$ 1,32 milliard.
À l'heure où de nombreux citoyens s'inquiètent des émissions de
carbone, Toyota a créé la première voiture hybride au monde, la
Prius. Véritable visionnaire, Toyota est devenu le pionnier de la
technologie hybride. La Prius enrichit son constructeur et offre
une belle histoire sur l'activité et la marque Toyota.
Histoire qui rappelle celle d'Alexander Graham Bell, qui, après
avoir inventé le téléphone, a lancé dans un élan d'exaltation: 'Je
suis fermement convaincu qu'un jour viendra où chaque ville des
États-Unis aura son téléphone.' En 2000, Vodafone a acquis de
nombreuses parts d'une société de téléphonie mobile kényenne; le
marché potentiel futur avait été estimé à 400 000
utilisateurs. Aujourd'hui l'entreprise Safaricom compte plus de
10 millions d'abonnés.
Cette croissance est due à la créativité de l'entreprise qui a
décidé de facturer les appels des Kényens à faibles revenus à la
seconde plutôt qu'à la minute. Safaricom engrange des bénéfices et
fait la différence. Les agriculteurs utilisent le portable pour
détecter les meilleurs prix sur les marchés proches. En règle
générale, une hausse de 10% de la pénétration des mobiles dans un
pays se traduit par une croissance de 1% du PIB.
L'entreprise de vêtements Patagonia a vu son leadership ébranlé
suite à l'utilisation de pesticides toxiques pour l'environnement.
Mais cet accroc s'avéra être un bien pour un mal à la fois pour
l'entreprise et la marque. Son PDG affirme: 'Chaque fois que j'ai
agi en faveur de l'environnement, j'ai gagné de l'argent.'
General Electric a lancé un programme appelé Ecomagination dans
le but d'investir dans la technologie propre et de doper les ventes
de produits offrant une performance environnementale accrue. Elle
fait de gros investissements dont elle attend un bon rendement: US$
25 milliards d'ici 2010. Cela s'avère positif pour
l'entreprise et la marque. Ce ne sont pas des considérations
philanthropiques qui guident GE mais les consommateurs; elle
utilise les craintes liées à l'environnement pour détecter de
nouvelles sources de revenus.
Le 'capitalisme créatif' selon Bill Gates soulève de nombreux
débats quant à son acception. Personnellement, je pense que la
culture de la transparence et le désir de consommation éthique
stimulent la créativité des entreprises. Ils nous aident à
concevoir de nouveaux produits et services répondant à la demande
des consommateurs, bons pour la société et rentables. Ils
alimentent notre stock d'histoires.
Les entreprises qui voient là une opportunité de gagner de
l'argent en contentant les demandes des consommateurs et en
communiquant toujours davantage sur elles-mêmes - sur leur
comportement à l'international, leurs sources d'approvisionnement
en matières premières, la composition de leurs produits - sont
assurées d'être prospères.
Avantage aux pays en développement
Ce sont aux entreprises des économies émergentes que profitent les
plus grandes opportunités. Les consommateurs du monde entier,
notamment des économies développées, sont plus à l'affût que jamais
d'histoires sur les entreprises qui écoulent leurs produits et
Internet stimule notre intérêt. Nous aimons les histoires qui
fleurent bon l'ailleurs et l'exotisme. Et nous sommes prêts à payer
pour cela.
La plupart des marques mondiales sont en fait locales
et ont un lien fort avec leur origine géographique. Nike est
américain, Ikea suédois et Chanel français. L'origine est un moyen
de parler de vous, de débanaliser les secteurs et de persuader les
citoyens de payer un surcoût.
Les entreprises peuvent également être cataloguées plus
localement. Voyez la façon dont Jack Daniel's a fait de sa ville
natale Lynchburg, Tennessee, une référence mondiale. Parfois ce
sentiment d'appartenance géographique peut apparaître dans le nom
et donner lieu à une légifération, comme dans le cas du jambon de
Parme, de la laine Mérinos et du champagne français.
Comme une entreprise peut être connue à travers le monde, un
pays peut aussi être associé à un produit ou secteur industriel. La
Suisse est célèbre pour ses montres, son fromage et son chocolat.
Les États-Unis pour l'industrie du spectacle, l'Allemagne pour la
mécanique, etc.
En 1917, J. Walker Thompson (fondateur de l'agence de publicité
JWT) affirmait que 'Un produit, ou une entreprise a toujours ce
petit plus, cette idée qui fait la «différence», une idée qui peut
créer une histoire si importante, si vitale et si fascinante pour
le public qu'elle démarque votre produit de ses concurrents et que
la clientèle pense vraiment qu'il est différent.'
Les entreprises des pays en développement offrent les meilleures
histoires; celles concernant la provenance de l'eau minérale ou les
rapports entre employés peuvent sembler banales aux travailleurs de
ces entreprises, mais elles sont intéressantes pour les autres.
Étudiez la façon dont votre entreprise fait des affaires, pimentez
le tout d'une touche locale et vous obtiendrez à coup sûr des
histoires intéressant le reste du monde et soyez sûr que la planète
est à votre écoute.
Si une entreprise est incapable de produire une histoire sur la
responsabilité sociale, montez-en une. Il ne s'agit pas d'inventer
un mensonge - cela ne marcherait pas - mais de créer une initiative
favorable à l'entreprise, inclut une dimension sociale de la
responsabilité et fait une bonne histoire - comme General Electric,
Patagonia et Vodafone.
Les écoles de pensée
Après avoir lu ces lignes, peut-être vous demandez-vous encore
pourquoi les entreprises devraient perdre leur temps à réfléchir à
tout ça. Ne devrions-nous pas nous en tenir à ce que nous savons
faire - gagner de l'argent? Tel était l'avis de l'économiste Milton
Friedman et de générations d'économistes partisans du
libre-échange, qui estimaient qu'aussi longtemps qu'une entreprise
se conformait à la loi, lui demander de s'intéresser à autre chose
est une aberration dangereuse.
Mais récemment est apparue une nouvelle idéologie, dont le
chantre est John Mackey, fondateur et PDG de Whole Foods Market,
chaîne d'épicerie américaine dévolue au bio, qui s'enorgueillit
d'obéir aux normes éthiques et environnementales les plus strictes.
Mackey connaît une ou deux astuces pour générer des profits pour
les actionnaires. Lors d'un entretien avec Frieman lui-même, Mackey
a estimé qu'une entreprise éclairée devait dégager des profits pour
tous les actionnaires (consommateurs, salariés, fournisseurs et
communauté) et pas seulement les investisseurs. Il a expliqué que
'chacun de ces groupes doit définir l'objectif de l'entreprise en
termes de ses besoins et désirs spécifiques, et chaque point de vue
est valable et légitime.'
Dans mon secteur, nous demandons toujours à nos clients de
réfléchir à l'avantage procuré par le produit vendu, et non pas
seulement au produit. Un professeur de marketing avait coutume de
dire à ses étudiants que les gens ne veulent pas une perceuse de 5
millimètres mais ont besoin d'un trou de 5 millimètres. Peu importe
le produit, il doit répondre aux attentes et les entreprises ont
pour tâche de générer des profits.
Gagner de l'argent n'est pas une fin en soi; c'est un moyen.
L'intérêt ultime d'une entreprise est toujours étroitement lié à la
société dans laquelle elle opère. Ce qui nous motive, c'est la
quête de la considération, du respect, du travail bien fait, de
l'éducation et des soins médicaux, d'outils meilleurs, d'un emploi
satisfaisant, etc.
Les chefs d'entreprise formuleront cet avantage en fonction de
leur activité et de leur intérêt. Je le définis comme je le
ressens. Mon activité est de créer des histoires plus intéressantes
que les gens pourront écouter, partager et commenter. Le fait que
les consommateurs exigent des normes éthiques plus strictes permet
à de nombreuses entreprises de donner libre cours à leur
créativité. Cela nous incite à créer des histoires de meilleure
qualité et en plus grand nombre sur nos activités pour les diffuser
auprès des communautés avec lesquelles nous travaillons et dans le
monde entier.
La durabilité consiste à satisfaire les besoins de la génération
actuelle sans compromettre la capacité des générations futures à
satisfaire leurs besoins. Et je pense que la solution viendra
du commerce bio et équitable.
Les graves secousses qui, au cours des semaines passées, ont
agité les marchés financiers et, plus largement l'économie
mondiale, continueront d'avoir des effets notables sur le
comportement des consommateurs. Il se peut que les craintes liées
aux pratiques commerciales éthiques et à l'environnement passent au
second plan à court terme. Mais ces problèmes sont bien réels,
pressants et ne se résoudront pas par eux-mêmes. Je pense que les
propos tenus dans cette revue restent vrais, récession mondiale ou
pas.
Les consommateurs trouveront leur propre équilibre entre
valeurs et 'valeur'. Le poids combiné de l'humanité et de la
technologie oblige les entreprises à différents degrés de
transparence. Privilégier la qualité est toujours un atout
pour les entreprises.
Et enfin, le pouvoir de la narration, qui rémonte à des
millénaires, est toujours d'actualité en période de récession.
Comment ces facteurs s'entremêlent pour créer des histoires
suffisamment distrayantes, instructives et utiles pour être
partagées, sera un facteur clé du progrès.
Attention: risque d'écoblanchiment
L''écoblanchiment' - qui vise à communiquer une image
écoresponsable d'une marque ou d'un marché de la production qui ne
le sont pas - profite à personne et nuit à tous. L'entreprise joue
sa réputation, les consommateurs s'y perdent et deviennent
cyniques, et l'environnement est finalement le grand perdant.
Promouvoir les qualités éthiques et environnementales de votre
produit de façon claire et engageante est une chose, encore
faut-il que vos allégations soient fondées pour ne pas entamer
votre crédibilité. En Australie, Total Environment Centre a
récemment publié des directives pour utiliser correctement la
communication et le marketing verts:
E: Édictez des allégations vraies - si vous
utilisez des termes comme 'propre', 'carboneutre', 'écologique',
'naturel' ou 'recyclé' pour décrire votre produit, soyez précis sur
la façon de les justifier.
C: Cédez au réalisme - Ne vous laissez pas
emporter par des images, des couleurs ou de la musique évocatrices.
Dressez un portrait réaliste et factuel, et ne vous laissez pas
emporter par une éco-aspiration infondée.
O: Optez pour le bon sens écologique et
environnemental - Informez-vous de la terminologie et des
concepts afférents (ainsi écologique fait référence à des
organismes vivants et à leurs interactions dans des écosystèmes
spécifiques alors qu'environnemental, plus large, décrit les
conditions externes et l'environnement incluant la société humaine
et l'économie et s'applique à l'ensemble du cycle des
produits).
L: Louez la performance énergétique et
d'émissions - Comprenez que l'utilisation de l'énergie et
les émissions de gaz à effet de serre contribuent au changement
climatique, problème environnemental reconnu du 21ème siècle. Soyez
prudent avec les revendications liées au climat et à l'énergie,
notamment avec des termes aussi imprécis que 'carboneutre'.
O: Oubliez combines, manipulations et
propagande - les astuces et procédés publicitaires faciles
n'ont pas leur place dans un marketing vert sérieux.