"Les stratèges consacrent trop d'attention à l'investissement
étranger direct (IED) comme moyen d'augmenter la capacité à
exporter et à renforcer la compétitivité à l'exportation.» Tel est
en substance une proposition avancée lors du Forum exécutif 2002
ainsi que lors du Forum exécutif régional tenu en Afrique du Sud.
Elle se voulait provocante, et un participant a même demandé si
nous ne plaisantions pas.
Notre proposition ne prétendait pas qu'il fallait accorder moins
d'attention à l'IED. La promotion et le maintien de
l'investissement étranger direct sont des éléments essentiels de
toute stratégie nationale de développement de l'exportation.
Néanmoins, le CCI conseille d'accorder une plus large priorité et
plus de ressources à l'encouragement d'alliances commerciales parmi
les firmes et les organisations locales.
Les alliances entre PME, entre firmes plus ou moins grandes et
même entre des multinationales et des ONG ont contribué à
l'amélioration de la compétitivité dans les pays en développement.
Elles ont généré des revenus, augmenter les possibilités d'emploi
et stimuler le développement rural, parfois tout cela ensemble. Les
bénéfices de telles alliances peuvent être encore accrus par la
stratégie appropriée.
Les risque de l'IED
Examinons les différentes possibilités. La première consiste à
se concentrer sur l'IED. La concurrence entre les pays pour attirer
l'investissement étranger direct sera aussi intense, si ce n'est
plus, que celle existant entre les exportateurs pour obtenir des
parts de marché. Il s'agit d'une situation où le vainqueur s'adjuge
tout. Pour tout projet d'investissement, il y aura de nombreux
candidats mais un seul gagnant. Les chances de succès sont minces
pour nombre de pays en développement, surtout ceux qui n'ont pas
obtenu de bons résultats avec l'IED, ceux qui n'ont pas d'avantages
compétitifs naturels, par exemple la proximité avec le marché visé,
ou un élément clé à offrir. Bien sûr, la stratégie nationale
d'exportation doit travailler à assurer et à maintenir un
environnement favorable à l'investissement, un régime compétitif
pour l'investissement, un programme dynamique et une bonne capacité
pour servir les intérêts de l'investissement. Pourtant, en fin de
compte la décision d'investir revient à l'investisseur - étranger -
auprès de qui le stratège a peu d'influence directe.
Les avantages des alliances
nationales
La situation est tout autre quand il s'agit de développer la
capacité à exporter, et d'ajouter de la valeur, par la promotion de
partenariats au niveau national. Il ne s'agit pas de battre la
concurrence internationale (pour augmenter la capacité nationale à
exporter), mais d'encourager la coopération au sein de la
communauté d'affaires locale, plus particulièrement entre les PME.
En réalité, les alliances nationales destinées à augmenter la
capacité d'exportation s'adressent surtout aux PME, et non aux
multinationales (dont les responsables de l'IED se chargent). Avec
les PME, les possibilités de créativité, d'initiative, de dynamisme
et de flexibilité sont beaucoup plus vastes. Les variables sont
principalement du ressort du stratège. Donc, les perspectives de
succès sont plus grandes.
Alors que les incidences d'une seule alliance nationale seront
bien plus faibles qu'une opération impliquant l'IED, la valeur
cumulative de plusieurs partenariats locaux en vue de l'exportation
ne devrait pas être sous-estimée. L'IED va probablement concentrer
la capacité supplémentaire et de valeur ajoutée dans des zones
spécifiques d'un pays (qui s'est probablement déjà orienté vers
l'exportation). Un programme pour encourager les alliances
nationales peut être plus facilement taillé à la mesure des besoins
de développement - développement rural, réduction de la pauvreté et
diversification géographique de la capacité de production. Telles
sont en effet les questions que la stratégie d'exportation devrait
aborder.
Quelles sont alors les options dont disposent les stratèges? Les
participants au Forum exécutif 2002 ont avancé quelques
suggestions.
Les alliances pour la production et la
commercialisation
Ils étaient d'accord pour affirmer que la stratégie la plus
évidente est de promouvoir la production faite en collaboration et
les arrangements commerciaux. Le concept novateur d'agglomération
d'entreprises, mis en place en Nouvelle-Zélande par le Conseil du
développement du commerce, est peut-être le plus direct et le plus
économe en ressources (si l'on tient compte des ressources qu'on
peut consacrer à la stratégie nationale d'exportation). Les firmes
dotées de capacités similaires et complémentaires sont encouragées
à former des associations informelles et libres dont elles se
servent pour rechercher des débouchés commerciaux internationaux en
partageant les frais. Ces réseaux nationaux n'ont pas pour
résultats directs une capacité renouvelée à l'exportation, mais ils
apportent des synergies, en termes de dimension et de
compétitivité, par rapport à l'offre d'exportation et à la valeur
ajoutée.
Ce type d'alliance est valable pour de grands projets
multidisciplinaires. Néanmoins, elles peuvent être reproduites à un
niveau plus modeste, par exemple pour de petits producteurs et
fabricants qui, s'ils ne mettent pas en commun leurs capacités de
production, seraient incapables de produire les volumes requis sur
les marchés internationaux. Ce type de collaboration nationale
entraîne des capacités renouvelées à l'exportation. En l'absence de
ces partenariats, aucune des entreprises impliquées n'aurait eu la
préparation pour répondre aux exigences minimales de
l'acheteur.
Les alliances dans le secteur
agricole
L'agriculture contractuelle
Dans le secteur agricole, l'agriculture contractuelle représente
une option à ne pas négliger. Il s'agit encore d'une question de
masse critique. En réunissant de petits producteurs, dépourvus de
capacité en volume ou savoir-faire, avec de plus gros producteurs
ou des entreprises commerciales par le moyen d'un arrangement de
coproduction, de nouvelles capacités à exporter et une plus grande
compétitivité peuvent être générées. Il existe bien entendu des
conditions préalables pour réussir. Les parties doivent reconnaître
le contrat et disposer d'un système qui garantisse l'application du
contrat. Des services doivent être accessibles pour pouvoir assurer
la qualité, la quantité et les délais de production et organiser
les fermiers en groupes ou associations qui assumeront la gestion
du contrat.
Si la stratégie d'exportation œuvre à mettre en place ces
conditions préalables, l'agriculture contractuelle peut mener au
renforcement de la capacité à l'exportation. Elle établit les
fondements sur lesquels introduire des technologies, inaccessibles
autrement, pour de petites unités de production, afin d'en
augmenter l'efficacité, par exemple par des achats et la
distribution en vrac d'intrants, et de diminuer les risques
généralement associés à la production destinée à l'exportation.
Théoriquement du moins, ceux qui se situent du côté de l'offre lors
de la transaction d'exportation sont bénéficiaires.
Les villages de production à l'exportation
Les villages de production à l'exportation (VPE) concrétisent
une approche particulièrement intéressante visant à créer une
nouvelle capacité d'exportation par le moyen d'alliances
nationales.
Expérimenté pour la première fois au Sri Lanka dans les années
80, ce modèle a été appliqué avec succès dans d'autres pays en
développement. Son intérêt réside dans le fait qu'il répond aux
difficultés commerciales et de développement de la stratégie
nationale d'exportation. L'approche des VPE a évolué pour aboutir à
deux modèles d'alliance nationale orientés vers l'exportation.
Selon le modèle original, des producteurs ruraux reçoivent
l'assistance technique du réseau national d'appui commercial (dans
le cas du Sri Lanka, il s'agit du Conseil de développement à
l'exportation) pour créer des compagnies populaires (EPC). Chaque
producteur est actionnaire de la compagnie. Promouvoir la
production à l'exportation et donner une force collective aux
producteurs individuels, tels sont les objectifs de ces
villages.
Le Conseil de développement à l'exportation a facilité les liens
formels entre l'EPC et une société d'exportation appropriée, qui
assume la responsabilité de la commercialisation et procède aux
transactions internationales. Le conseil sert d'intermédiaire,
assurant un commerce loyal et le bénéfice mutuel pour les deux
parties; il offre aussi ses conseils et services d'appui.
Le second modèle a évolué et intègre de la valeur ajoutée. Avec
cette approche, une seconde entité juridique exécute des activités
de transformation, de finition et d'emballage du produit destiné à
l'exportation. Étant donné la nécessité d'investissement
passablement plus élevé, la société d'exportation obtient 50% de
participation des alliances EPC/EPA (alliance populaire).
L'EPC reçoit 30% de participation, tandis que le Conseil de
développement à l'exportation en retient 20%, ce qui équivaut au
capital initial qu'il a versé (parfois conjointement avec d'autres
membres du réseau national d'appui au commerce) pour lancer l'EPC.
La compagnie populaire a le droit de racheter des actions
participatives du Conseil avec les bénéfices générés par
l'entreprise, devenant ainsi partenaire à parts égales avec la
société d'exportation.
Les alliances industrielles
Les zones franches industrielles
Dans le secteur manufacturier, les stratèges devraient envisager
la relation entre les firmes sises dans des zones franches
industrielles et celles situées à l'extérieur de ces zones.
Ces rapports allers-retours sont naturels et peuvent mener à de
nouvelles capacités d'exportation et à une plus grande rétention de
valeur dans la chaîne de valeur nationale.
Trop souvent, ces liens sont ignorés des responsables, alors que
les possibilités de partenariats sont nombreuses.
Les regroupements industriels
Il est admis que les regroupements servent non seulement
d'incubateurs pour la compétitivité, mais aussi de plates-formes
pour des alliances commerciales. Ils aident les entreprises à se
spécialiser, attirent fournisseurs et acheteurs, divulguent des
idées et stimulent la capacité d'innovation et, surtout, ils
engendrent l'action coopérative.
L'existence d'une concentration d'entreprises du même secteur ne
garantit toutefois pas que les partenariats pour renforcer la
compétitivité vont évoluer. De tels partenariats ne surgissent pas
automatiquement. C'est ici que la stratégie entre en jeu.
Les alliances formées dans le contexte de regroupements
industriels fournissent diverses options pour le stratège. Elles
vont du partenariat vertical issu de réseaux d'affaires formels et
de groupes de commercialisation en commun à des arrangements de
partage de la production où chaque firme se spécialise dans une
production et des applications commerciales spécifiques dans le
cadre d'une relation d'affaires formelle.
Là encore, les stratèges des pays en développement tendent à
accorder trop peu d'attention à ces arrangements, et dans très peu
de cas la stratégie a-t-elle été de viser directement la création
et le maintien de telles alliances.
Les meilleures méthodes
Il existe trois principes stratégiques d'excellence pour ne pas
perdre de vue les alliances nationales.
- Le réseau d'appui au commerce devrait jouer le rôle
de catalyseur. Dans les pays en développement
surtout, les partenariats ont besoin d'un agent externe ou d'un
courtier. Une agence du secteur public, peut-être l'organisme
national d'appui au commerce, est probablement la mieux placée pour
ce rôle de catalyseur. Une situation plus avancée exigera un
partenariat des secteurs public et privé, dans le cadre duquel les
agences gouvernementales vont directement et régulièrement préparer
le terrain pour les alliances du secteur privé, et faire un suivi
grâce à leurs services d'appui.
- Les alliances nationales doivent se concrétiser par
des partenariats interentreprises uniquement. Dans le
cas d'alliances en zone rurale, une ONG dotée de compétences
techniques et/ou de coordination est mieux placée pour tenir le
rôle de catalyseur et de courtier. Les ONG deviennent d'ailleurs
toujours plus expertes en matière de promotion commerciale et de
création d'alliances. Au sein des communautés rurales, elles
apportent le ciment technique qui maintient ensemble beaucoup
d'alliances exportatrices. Pour développer les compétences de
gestion qui doivent accompagner la capacité à produire pour
l'exportation, les ONG, de même que les universités et les centres
de formation technique, représentent des partenaires indispensables
dans une alliance exportatrice.
- Les partenariats de courtage entre petits et
grands. L'idée de réunir les filiales locales de
multinationales et de petits producteurs, même issus du secteur
informel, dans des entreprises compétitives au niveau international
n'est pas aussi irréaliste qu'elle peut paraître. L'expérience a
montré que ces partenariats apparemment impossibles sont viables,
non seulement du point de vue du développement, mais aussi
commercialement. Au Brésil, le projet PRONAMAZON-Pauvreté et
Environnement en Amazonie (POEMA)-DaimlerChrysler représente un
excellent exemple. De plus amples renseignements sur ce type de
rapport d'affaires se trouvent à l'adresse http://www.bosaamazonia.com.br
Concilier objectils commerciaux et de
developpement
Les villages de production à l'exportation (VPE), ainsi que les
compagnies et alliances populaires associées, apportent de
multiples bénéfices.
- Ils emploient efficacement les ressources matérielles et les
compétences humaines rurales en vue de l'exportation.
- Ils éliminent les intermédiaires et les revendeurs, accroissant
ainsi les profits des producteurs.
- Ils offrent une base pour ajouter de la valeur au mix destiné à
l'exportation.
- Ils stimulent les entreprises rurales et diminuent la
dépendance de l'assistance de l'État.
- Ils créent de nombreuses possibilités d'emploi, réduisant ainsi
l'exode rural, des jeunes en particulier, vers les centres
urbains.
Cet article se fonde sur les contributions au Forum exécutif
de Giovanna Ceglie, Organisation des Nations Unies pour le
développement industriel (gceglie@unido.org), Vicky
Schreiber, POEMA, Brésil (vicky@ufpa.br), Edward Seidler,
Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture
(edward.seidler@fao.org) et
Geoffrey Tillikeratne, Directeur général, Conseil de développement
à l'exportation du Sri Lanka (lsgt@edb.tradenetsl).