La défense des intérêts des entreprises dans le cadre de la
politique commerciale fait appel à toutes sortes d'activités. Les
exemples qui suivent montrent comment tout effort au niveau de la
stratégie de la part des firmes ou des associations sectorielles
peut avoir des répercussions sur le commerce international.
- Le Comité du Barreau brésilien sur le GATT a été capable
d'influencer les négociations commerciales du Cycle d'Uruguay sur
les services juridiques grâce à sa position intellectuelle marquée
au cours des discussions et à sa coordination avec les autres
associations du barreau au sein du MERCOSUR.
- Une compagnie internationale de vérification comptable en vue a
apporté une contribution importante au débat qui a précédé la
libéralisation du commerce des services comptables et de conseil
résultant du Cycle d'Uruguay. Elle a également aidé à financer le
travail de plusieurs organes publics et privés dans le monde afin
de promouvoir la libéralisation du commerce des services.
- La Chambre de commerce du Sri Lanka s'est engagée dans le
contrôle du développement des mesures commerciales dans l'intérêt
des exportateurs du pays.
- Une fabrique de matériel photographique sise à New York a
obtenu le soutien du Gouvernement américain pour faire pression sur
le Japon afin qu'il supprime des restrictions anticoncurrentielles
sur la vente de films, conflit qui est d'ailleurs parvenu devant
l'Organe de règlement des différends de l'OMC.
- Un petit fabricant de produits cosmétiques de Jordanie a réussi
à obtenir une baisse des tarifs d'importation pour ses fournitures
en s'adressant au bureau jordanien chargé de ces questions.
- La Canadian Dehydrators Association (CDA), qui réunit 30 firmes
exportatrices d'aliments pour bétail, a obtenu l'abaissement des
obstacles tarifaires dans plusieurs pays d'Asie et d'Afrique en
soutenant que les produits fournis étaient nécessaires à l'élevage
local de bétail destiné à l'exportation de viande de qualité. Le
directeur de l'association a rendu régulièrement visite aux
ministères concernés de ces pays pour leur présenter ses arguments.
Il leur fournissait notamment une disquette, que les ministres ont
utilisée lors des débats sur les réformes des politiques
commerciales. Le représentant de la CDA organisait également des
présentations pour les producteurs locaux. En conséquence,
plusieurs pays ont diminué leurs tarifs d'importation sur les
produits de la CDA.
Ces exemples montrent que le plaidoyer et l'action en faveur des
entreprises pour influencer la politique commerciale marche et peut
véritablement jouer un rôle dans l'économie. La défense des
entreprises peut améliorer la position compétitive des exportateurs
sur les marchés extérieurs.
Le rapport entreprises-gouvernement est particulièrement
important alors que les négociations commerciales multilatérales
sont en cours. Les entreprises doivent bien sûr prendre part à
l'élaboration des stratégies et les négociateurs du gouvernement
doivent se tenir en contact permanent avec les représentants
sectoriels.
Les objectifs de la défense
Bien que les moyens varient, les objectifs de la défense du
secteur entrepreneurial dans la politique commerciale peuvent être
divisés en trois catégories.
- Amélioration de la compétitivité sur les marchés
extérieurs. Les firmes cherchent à améliorer leur
accès aux marchés extérieurs et à soutenir les règles qui
renforcent leur position concurrentielle sur ces marchés. Les
entreprises peuvent faire un plaidoyer direct sur place, comme dans
le cas de la CDA, ou demander l'appui de leur gouvernement.
- «Protection». Les entreprises font
souvent du lobbying pour s'assurer de politiques commerciales qui
les protègent de la concurrence étrangère par des droits douaniers,
des quotas et autres mesures de protection. L'OMC reconnaît la
nécessité de protection par des droits de douane dans certains cas,
comme le soutien des industries naissantes, et elle permet un
traitement plus favorable aux pays dont l'économie est émergente.
Mais les compagnies devraient se rendre compte qu'avec le temps les
règles de l'OMC deviennent plus strictes en ce qui concerne les
stratégies de protection contre la concurrence.
- Limiter la pression des autres
groupes. Les groupes sectoriels peuvent décider de
défendre leurs activités pour limiter ou contrebalancer les efforts
d'autres groupes d'intérêts. Les entreprises affectées peuvent
généralement se réunir en coalition pour présenter leur cas avec de
meilleures chances de succès.
Formuler une stratégie de défense
Cela nous amène à nous demander comment, dans les pays en
développement, les entreprises et les associations qui les
représentent peuvent agir pour la défense de leurs intérêts.
Comment peuvent-elles déterminer leurs objectifs? Qui devrait
entamer le processus? Qui devrait soutenir ce plaidoyer?
Il n'existe bien sûr pas de recette unique pour formuler une
stratégie réussie. L'expérience montre néanmoins qu'il est utile
d'identifier les options de base à disposition.
- Dans quel domaine se situe la défense de vos intérêts? Compte
tenu des engagements de votre pays vis-à-vis de l'OMC, une
stratégie de protection est-elle réaliste? Quel type d'appui
recherchez-vous? En quoi l'accès aux marchés d'exportation peut-il
être amélioré? Comment le gouvernement arbitre-t-il les conflits
d'intérêts?
- Comment pouvez-vous créer des coalitions? Une entreprise, une
association sectorielle ou un groupe de sociétés spécifique
devraient-ils se charger de ce plaidoyer? En quoi cette décision
va-t-elle modifier les objectifs de la campagne, les ressources et
l'accès? Qui sont les membres potentiels de la coalition à
l'intérieur et à l'extérieur du pays? Quels groupes d'intérêt sont
susceptibles de s'opposer à vos objectifs? Comment pouvez-vous
convaincre vos opposants pour qu'ils deviennent vos alliés? Quel
devrait être votre message vis-à-vis du gouvernement? Quelles
données et quelle analyse devrez-vous avancer pour ajouter
crédibilité à vos arguments? Quelles sont les ressources dont vous
avez besoin?
Les acteurs de la politique commerciale
En plus des groupes sectoriels, plusieurs acteurs jouent un rôle
dans la prise de décisions commerciales. On comptait récemment plus
de 35 000 associations professionnelles et commerciales actives
dans des forums de discussion, dont l'activité allait des relations
publiques au syndicalisme, avec même la présence d'organisations
non gouvernementales (ONG).
- Outre les chambres nationales de commerce, la Chambre de
commerce internationale, dont le siège est à Paris et qui réunit
des milliers de compagnies et d'associations sectorielles, prend
une part active au sein du réseau de l'OMC.
- Un nombre croissant des firmes estiment profitables les
relations publiques. Certaines d'entre elles ont développé des
compétences spécialisées pour défendre leurs intérêts, et elles
sont toujours plus nombreuses à s'installer à Genève en raison du
rôle normatif de l'OMC.
- Les syndicats font partie intégrante de la scène où se prennent
les décisions commerciales, car les objectifs des associations
professionnelles coïncident souvent avec ceux des syndicats. Enfin,
de nombreuses ONG sont actives dans le débat social, certaines
étant plus combatives que d'autres; elles s'accordent cependant
toutes à agir sur les questions mondiales, en plus de leurs
activités au niveau national.
Les défenseurs des entreprises doivent connaître le point de vue
de chacun de ces groupes s'ils cherchent à élargir leur influence
sur les politiques commerciales.
Interaction avec le gouvernement
L'interaction entre gouvernement et secteur privé varie beaucoup
selon le contexte historique et le système politique en place.
En Inde, en ce qui concerne l'élaboration de la politique
commerciale, le Ministère du commerce est assisté par des organes
de conseil qui participent sous le nom de Conseil du commerce.
Plusieurs instituts liés à certaines activités, notamment
l'emballage, les diamants, les textiles ou les produits chimiques,
ne s'occupent que des questions relatives à leur secteur. Des
organes publics consacrés aux matières premières dispensent des
conseils commerciaux concernant la production de thé, café,
caoutchouc, épices et tabac. Des associations sectorielles, des
instituts académiques et des groupes de réflexion contribuent
également aux prises de décision.
En 1994, le Mexique s'est démarqué par son esprit d'innovation
lors des négociations en vue de l'ALÉNA lorsqu'il a invité ses
milieux d'affaires à s'installer «dans la pièce d'à côté». Les
représentants étaient consultés en permanence lors des sessions et
émettaient leur avis sur les propositions. Cette méthode s'est
révélée si efficace qu'elle a été adoptée lors d'autres
négociations.
Pour sa part, le Guatemala a mis sur pied une commission
nationale dotée d'un coordonnateur pour enregistrer les réactions
de la communauté des affaires aux négociations en vue d'une zone de
libre échange avec le Mexique. Ce système a aussi servi pour
d'autres négociations.
Plus de détails sur les approches mexicaine et guatémaltèque se
trouvent sur le site internet de World Tr@de Net, aux adresses
suivantes:
http://www.intracen.org/worldtradenet/docs/information/referencemat/rroomnextdoor.pdf
et
http://www.intracen.org/worldtradenet/docs/information/referencemat/cencit.pdf
En Thaïlande, le Comité consultatif conjoint public-privé
constitue le principal forum officiel où se retrouvent le
gouvernement et la communauté des affaires. Il joue un rôle
important dans le processus de prise de décisions commerciales pour
stimuler le débat et former des coalitions.
Au Maroc, le Conseil national du commerce extérieur, qui
comprend 30 fonctionnaires gouvernementaux et 36 représentants des
milieux d'affaires, est chargé de formuler les conseils et de
préparer les nouvelles propositions législatives.
Cependant, les mécanismes institutionnels destinés à encourager
une participation élargie aux décisions commerciales ne reflètent
pas toujours véritablement la façon dont les décisions sont prises.
Ce qui importe est si et comment les différents intérêts sont
équilibrés, et si tous les groupes d'intérêts ont accès au
système.
Liste de contrôle pour les entreprises
Comment les entreprises peuvent-elles mieux contribuer à la
prise de décisions commerciales?
Aucun modèle d'interaction entre gouvernement et entreprises
n'est universel. La meilleure manière de savoir comment augmenter
la contribution des entreprises est d'identifier les zones à
problèmes. On peut travailler avec par exemple le type de questions
qui suivent.
- Votre association sectorielle ou votre entreprise est-elle
suffisamment active dans:
- l'analyse des questions liées aux mesures commerciales,
notamment celles relatives à l'évolution de l'OMC;
- le maintien des contacts et l'apport intellectuel aux décisions
commerciales;
- le maintien d'une position dominante et l'apport d'un soutien
administratif dans le débat;
- la participation active et compétente aux consultations
formelles sur les questions de politique commerciale;
- l'amélioration formelle de l'accès aux stratèges;
- la prise de position sur les propositions qui peuvent affecter
les résultats de votre entreprise ou de votre secteur?
- Utilisez-vous assez les possibilités existantes de
représentation auprès de votre gouvernement pour exprimer vos
préoccupations concernant la politique commerciale? Notamment, -
vos interventions auprès des organes gouvernementaux sont-elles
clairement ciblées?
- vos arguments sont-ils bien structurés et convaincants?
- les personnes qui vous représentent possèdent- elles les
compétences nécessaires pour affirmer leur présence?
- faut-il exercer une pression pour obtenir un meilleur
accès?
- Votre entreprise ou votre association estelle organisée en
fonction de la défense de vos intérêts? Par exemple, - existe-t-il
une unité spéciale responsable du suivi de l'évolution de la
politique commerciale, plus précisément concernant les intérêts des
secteurs d'exportation?
- cette unité est-elle directement liée au responsable dans
l'organisation?
- quel est le niveau d'autonomie du personnel au sein de
l'unité?
- bénéficiez-vous de l'appui de la direction dans vos
activités?
- les activités de défense des intérêts sontelles dûment
surveillées et évaluées?
- comment la contribution du personnel est-elle évaluée et quel
est le lien entre cette évaluation et les systèmes de
motivation?
- y a-t-il suffisamment de ressources attribuées aux activités de
défense des intérêts?
- Exploitez-vous les synergies entre les différentes institutions
qui défendent les intérêts des entreprises, notamment - avec celles
qui partagent les mêmes préoccupations, telles que les ONG, les
syndicats et certains départements gouvernementaux?
- avec les institutions académiques et de recherche?
- avec des partis politiques et d'autres groupes d'intérêts?
- Travaillez-vous au niveau international en vue de créer des
réseaux mondiaux avec des agents actifs dans la politique
commerciale prêts à agir pour vous?
- par l'intermédiaire de groupes d'intérêts dans d'autres
pays?
- au moyen d'associations au sein d'institutions internationales
dont vous faites partie?
- en bénéficiant de l'assistance d'organisations internationales
telles que la Banque mondiale, la CNUCED, l'OMC, le CCI ou d'autres
agences?
Quatre enseignements
Pour que la défense des intérêts des entreprises fonctionne, les
propositions doivent être cohérentes, représenter l'intérêt public
et être en phase avec la politique commerciale préconisée par le
gouvernement. Elles devraient spécifier la «valeur ajoutée» du
renforcement de l'intérêt public dans le cadre de la réforme de
mesures commerciales proposée. En effet, les stratèges vont écarter
les droits acquis et se garder des critiques des médias ou des
milieux politiques.
Les enseignements tirés des études de cas et des discussions
avec des experts dans la défense des intérêts des entreprises
suggèrent quatre recommandations pour le développement des mesures
commerciales.
- Se concentrer sur un nombre limité de questions commerciales
bien définies.
- Maintenir un processus de formulation stratégique formel lié au
Programme de Doha pour le développement et encourager la
participation d'experts externes en vue d'assurer l'objectivité et
un avis professionnel solide.
- Ne pas hésiter à revoir la stratégie de défense en fonction des
nouvelles expériences et des possibilités de négociation.
- S'assurer que les stratégies servent efficacement votre
défense. Chaque point affecte le public en général par ses
incidences sur la consommation, l'emploi et le bien-être
social.
Conseils pratiques
En conclusion, voici quelques conseils pratiques pour la défense
des intérêts lors de négociations commerciales.
- Vous pouvez suivre le calendrier des négociations commerciales,
par exemple sur les bulletins d'information du programme World
Tr@de Net, que vous trouverez sur le site du CCI:
http://www.intracen.org/worldtradenet/docs/whatsnew/newsletter.htm
- Coordonnez vos positions avec celles des groupes d'intérêts de
votre région. Le site de World Tr@de Net présente des résumés des
négociations commerciales multilatérales et examine les positions
des principales nations négociatrices.
- Recherchez la réciprocité dans les rapports internationaux
interentreprises en vue de trouver des appuis.
- Essayez de comprendre les tensions au sein du
gouvernement.
- Encouragez le traitement de ces questions au sein des
associations sectorielles.
Bulgarie: la compétitivité exige un véritable
dialogue
Différents schémas génèrent un dialogue dont l'efficacité varie.
Un dialogue inefficace se caractérise par des compagnies qui
s'adressent séparément aux autorités avec des plaintes
particulières concernant des problèmes opérationnels. Un dialogue
efficace se distingue par des approches valables pour tout un
secteur, avec une vision stratégique globale.
Le dialogue improductif se concentre sur des concessions plutôt
que sur des responsabilités partagées; il ne fournit que des listes
de plaintes indifférenciées se fondant sur des anecdotes. Le
dialogue fertile, au contraire, s'adresse au gouvernement avec des
priorités fondées sur des données sûres, des analyses solides, des
propositions concrètes et des estimations de coûts et bénéfices en
cas d'application.
Le dialogue stérile se produit lorsque les entreprises, les
syndicats et le gouvernement prennent des positions opposées. Le
dialogue fécond produit une position conjointe des partenaires face
aux adversaires extérieurs.
Une façon de promouvoir un dialogue fructueux aux niveaux
national et régional à propos de la compétitivité peut se faire en
créant un conseil national de la compétitivité. Cet organe, composé
généralement de représentants des secteurs public et privé,
universitaire et des travailleurs, sert à analyser les obstacles
internes et externes au développement de la compétitivité nationale
et à présenter des projets en vue de résoudre ces problèmes. Ce
conseil fonctionne de manière indépendante afin d'émettre des avis
objectifs sur l'état de la compétitivité dans le pays.
Le conseil peut servir de catalyseur dans le cadre d'un dialogue
authentique entre tous les intéressés. Il peut aussi constituer une
base pour centraliser les groupes régionaux de façon à mieux se
faire écouter.
Source: Extrait d'un article intitulé Creating Value: Moving
from Comparative to Competitive Advantage, élaboré par la
représentation bulgare lors du Forum exécutif de 2002.
Michel M. Kostecki est Directeur de l'Institut de
l'entreprise, Professeur à l'Université de Neuchâtel (Suisse) et
Consultant pour World Tr@de Net (mkostecki@compuserve.com).
Cet article se fonde sur une étude qu'il a menée pour le CCI sur la
défense des entreprises et la politique commerciale, à paraître
prochainement.