Gisèle Yitamben, fondatrice de l'ASAFE, s'est aperçue que les
femmes d'affaires connaissaient des problèmes spécifiques quand,
dans les années 80, elle travaillait comme formatrice pour le
compte de l'Institut panafricain pour le développement.
Des obstacles propres aux femmes
Bien qu'elles travaillaient très dur, les femmes ne parvenaient
pas à se hisser au-delà du niveau de subsistance. Il n'existait
aucun organisme pour aider les femmes chefs d'entreprise. Les
institutions d'appui au commerce favorisaient plutôt les
entreprises plus grandes, appartenant à des hommes, consacrées aux
cultures de rente habituellement tenues par ces derniers. En outre,
la loi permettait aux hommes d'empêcher les activités des femmes
s'ils estimaient qu'elles perturbaient la vie familiale.
«Aujourd'hui encore, les femmes possèdent ou gèrent très peu
d'entreprises orientées vers l'exportation, déclareMme Yitamben.
Parmi les 5000 membres de l'association, 120 exportent
actuellement, et seulement la moitié hors d'Afrique.» Les
principaux obstacles que rencontrent les femmes d'affaires sont:
«trop peu d'importance accordée aux entreprises de femmes; trop peu
de main-d'œuvre qualifiée; des programmes commerciaux inadaptés aux
besoins des femmes entrepreneurs; l'insuffisance des échanges
Nord-Sud et Sud-Sud; l'accès inégal aux marchés.»
Affronter les difficultés
«Les associations comme l'ASAFE peuvent venir en aide aux femmes
pour faire face aux difficultés à étendre leurs activités et à
conquérir les marchés d'exportation», déclare Mme Yitamben. Elles
peuvent notamment:
- partager les sources
d'accès aux technologies: mettre en commun les
ressources par le biais d'associations est une façon d'améliorer la
connectivité et de surmonter le manque d'ordinateurs
personnels;
- dispenser éducation et
formation pour aider les femmes à s'engager dans de
nouvelles activités professionnelles et pour améliorer les
pratiques commerciales existantes;
- procéder à des études de
marché et diffuser de l'information pour faciliter
les exportations, et
- agir comme catalyseur
pour le développement en mettant les membres en
contact avec d'autres associations des femmes, en les aidant à
s'intégrer à des réseaux et en les représentant aux niveaux local,
national, régional et international.
Se lancer dans l'exportation
«Les exportatrices doivent développer de nouveaux produits,
explique Mme Yitamben, exporter plus et rechercher les possibilités
de créer de nouvelles entreprises dans le pays.» Elle suggère des
mesures pour appuyer les femmes qui exportent: «consolider les
programmes de formation, créer des réseaux d'exportatrices sur le
plan continental, développer des projets pour atteindre les femmes
des zones rurales isolées et mettre sur pied des centres où les
ressources sont mises en commun.»
L'ASAFE offre à ses membres de l'information sur les marchés
collectée sur l'internet et auprès des chambres de commerce. Elle
est en train de développer un portail internet pour présenter les
produits de ses membres.
La technologie pour ouvrir des débouchés
Les technologies de l'information et de la communication (TIC)
peuvent également servir à d'autres fins. Elles permettent les
contacts avec d'autres réseaux d'affaires, l'accès à l'information
et sont une fenêtre sur le monde. L'usage de l'internet peut aussi
flexibiliser la gestion du temps pour les femmes, qui sont souvent
préssées par leurs multiples responsabilités sociales et
contraintes horaires. Pour les membres qui peuvent acquérir leur
propre équipement, l'ASAFE propose un centre d'accès à l'internet
où les ressources peuvent être regroupées.
Renforcer les compétences commerciales
Outre l'accès à des ordinateurs et à l'internet, l'ASAFE offre
la formation pour s'en servir. Elle propose également à ses membres
les services de spécialistes gouvernementaux pour la formation et
le conseil, ou encore pour des conférences sur les questions
cruciales de compétitivité commerciale telles que le contrôle de la
qualité.
De plus, l'association gère un centre de formation pour les
jeunes, dont 45% des étudiants sont des hommes et 55% des femmes.
Ce centre offre toutes sortes de possibilités pour compléter ses
compétences, notamment par le moyen de cours par internet. Elle
contrôle les immatriculations des étudiants afin d'assurer une
majorité de femmes, lesquelles ne paient que la moitié des frais
d'inscription. «Sans ces mesures, explique Mme Yitamben, la plupart
des étudiants du programme seraient des hommes.»
Le réseautage pour réussir
Mme Yitamben soutient également que les organisations qui
appuient les femmes doivent nouer des liens avec d'autres réseaux
commerciaux importants ou spécifiques aux femmes. Le développement
de réseaux est essentiel, car ils représentent des débouchés à
l'exportation en créant des contacts et partenariats mutuellement
bénéfiques.
En 1992, elle a chapeauté une mission commerciale Sud-Sud en
Inde, financée par la Banque mondiale. «Nous avons étudié des
organisations similaires et des solutions novatrices, telles que
l'expérience de la SEWA (voir pages 6-7) que nous considérons comme
un modèle de développement qu'il faudrait reproduire au
Cameroun.»
Les associations, garanties de réussite
Travailler en partenariat
L'ASAFE travaille avec d'autres organisations de soutien aux
femmes au Bénin et en République démocratique du Congo, ainsi
qu'avec la Fédération africaine des femmes entrepreneurs. Elle
collabore également
avec le CCI, principalement en ce qui concerne la formation et la
création de réseaux d'information. Elle adapte les modules de
formation du CCI sur la gestion d'entreprise et l'exportation de
services (voir pages 18-19), en anglais et en français,
pour refléter les conditions du Cameroun.
Recherche de soutien international
Mme Yitamben est convaincue que la communauté internationale
pourrait accélérer le développement en Afrique en travaillant avec
les associations commerciales de femmes. Jusqu'à présent, elle a
appuyé de petits projets pour des femmes indépendantes et de
microcrédit pour des femmes pauvres. «Mais pour les femmes issues
des secteurs les plus démunis, il n'existe presque pas d'aide.
J'aimerais voir beaucoup d'organisations internationales appuyer
les associations d'aide aux femmes. Elles peuvent contribuer à
réduire la pauvreté et à soutenir le développement beaucoup plus
efficacement si elles collaborent avec les femmes, souligne-t-elle,
car les femmes sont sérieuses et elles remboursent les
prêts.»
«Je souhaiterais aussi la création d'un programme du CCI
entièrement consacré aux femmes entrepreneurs, et de plus fortes
sommes dédiées aux programmes d'appui aux femmes de la part de la
Banque mondiale. Actuellement, les Nations Unies et ses agences
n'investissent que dans des microprojets, ajoute Mme Yitamben,
alors que ce qu'il faut, c'est plus d'investissement et des
services d'appui plus structurés.
Organisation:
Association pour le soutien et l'appui à la femme entrepreneur
(ASAFE)
Location: Douala, Cameroun
Membres: 5000 femmes indépendantes,
dont 120 propriétaires de leur entreprise
Employés: 15 collaboratrices payées,
dont la fondatrice, 2 coordinatrices, 4 formatrices et 8
animatrices de planning familial
Site internet:http://www.asafe.org
Conseil à d'autres femmes
entrepreneurs: «Essayer de travailler ensemble; cela
ne se produit pas assez souvent. Il y a beaucoup à gagner à avoir
un correspondant dans un pays où l'on désire exporter. Ainsi, des
femmes de la République démocratique du Congo ont des contacts ou
des partenaires au Cameroun, et vice-versa. Les réseaux
interentreprises sont très importants. Former un réseau entre
petits exportateurs devrait être une priorité pour les associations
de femmes d'affaires de cette région.»
Qui sont les membres de l'ASAFE?
Mme Yitamben a fondé l'ASAFE en 1987. Actuellement, 90% de ses
membres sont de petites entreprises gérées par des femmes, qui se
consacrent à diverses activités telles que les textiles, la
transformation d'aliments (comme le fumage du poisson), le commerce
de détail et l'industrie des services (coiffure, couture, etc.). La
plupart des membres sont indépendants ou possèdent une petite
entreprise employant cinq à dix personnes. La grande majorité (70%)
viennent des zones urbaines et les 30% restants de régions
rurales.
La plupart des membres de l'ASAFE, surtout ceux de la tranche
d'âges de 20 à 40 ans, ont fini l'école primaire; et nombreux sont
ceux qui ont
suivi une partie de l'enseignement secondaire, certains possédant
même une formation universitaire.
Financement
Les membres de l'ASAFE paient une cotisation annuelle selon la
taille de leur entreprise. Toutefois, l'association ne
s'autofinance pas entièrement, car certains membres ne peuvent pas
payer beaucoup pour ses services. Une partie du financement
provient de sources extérieures telles que le Gouvernement du Japon
et certaines organisations non gouvernementales (ONG) suisses
(Action de carême et Pain pour le prochain). Plusieurs fondations
et Eglises des États-Unis participent aussi et de l'aide a été
apportée par l'Agence canadienne de développement international et
par des ONG internationales.
Mary Treacy, Conseillère de rédaction pour Forum
du commerce, a mené cette interview.
Pour plus d'information sur ASAFE, veuillez contacter Gisèle
Yitamben (gisele.yitamben@asafe.org).