Les exportateurs espéraient que la conférence allait apporter
une orientation pour combler les lacunes entre les pays membres sur
certaines questions clés. Avant Cancún, les milieux d'affaires
étaient préoccupés par l'accès aux marchés ou d'autres problèmes
commerciaux, mais pas en ce qui concerne le système commercial
multilatéral. Après Cancún, ils sont aussi inquiets à propos de la
qualité de l'environnement commercial futur.
Rechercher des options
«Signer des accords bilatéraux ou régionaux», ont suggéré
certains, à l'issue de la rencontre avortée de Cancún. Les
exportations des pays en développement sont constituées le plus
souvent d'aliments, de textiles et vêtements, de chaussures ou
autres biens de consommation généralement soumis à des restrictions
à l'importation. «Ce qui compte pour nous, c'est d'améliorer
l'accès à nos marchés principaux. Si l'OMC n'est pas capable de
trouver une solution, les gouvernements devraient rechercher
d'autres voies, multilatérales ou non», fut la réaction de
quelques-uns des représentants officiels.
Certaines questions peuvent être négociées bilatéralement, comme
les droits appliqués à l'industrie. Cependant, de nombreux
problèmes ne peuvent être résolus entre deux pays, en particulier
les plus épineux, qui ont perdurés plus de cinquante ans malgré les
négociations commerciales multilatérales menées dans le cadre de
l'OMC et, auparavant, du GATT. Parfois, les politiques agricoles,
pics tarifaires, mesures sanitaires et phytosanitaires, obstacles
techniques au commerce et règles et pratiques de mesures
correctives demeurent «hostiles» aux exportations, malgré la
pression de presque toutes les nations commerçantes au cours des
huit cycles de négociations commerciales multilatérales. Peut-on
sérieusement imaginer que les pays en développement arrivent à
leurs fins dans un cadre bilatéral? Sont-ils capables de convaincre
l'Union européenne à changer sa politique agricole commune (PAC),
ou les États-Unis à modifier ses règles antidumping?
Pas d'option au multilatéralisme
Le bilatéralisme ne peut pas remplacer le système commercial
multilatéral, car le prix pour des améliorations en vue d'un accès
aux marchés à court terme serait bien plus élevé que dans un
contexte multilatéral. L'ouverture réciproque de marchés par le
biais d'accords bilatéraux peut représenter un effort économique
énorme pour les pays en développement, même s'il n'existe pas
d'industrie nationale à protéger. Les importateurs de biens
d'investissement, par exemple, pourraient trouver plus avantageux
d'importer des produits exempts de contingents de pays avec
lesquels il existe un accord bilatéral, alors que les importations
d'autres provenances sont soumises à des droits élevés. Cependant,
les machines provenant de sources exemptes de droits peuvent ne pas
être nécessairement plus efficaces.
Le traitement spécial et différencié et la protection des
industries naissantes sont également plus difficiles à définir dans
un cadre bilatéral. Entre pays économiquement inégaux, la stabilité
et l'application de droits, fondés sur un accord bilatéral, sont
plus qu'incertaines. Ainsi, pour prendre un conflit commercial qui
a eu lieu récemment, quel pays en développement aurait pu
convaincre seul les États-Unis de lever ses tarifs spéciaux
appliqués aux importation d'acier? Cependant, résultat d'une
décision de règlement de différend de l'OMC, les États-Unis ont
opté pour l'élimination de ces tarifs incompatibles avec les règles
de l'OMC.
La complexité de gérer de multiples accords bilatéraux et
régionaux est aussi une source d'inquiétude. Par exemple, si les
règles d'origine d'un pays imposent différents tarifs pour le même
produit, selon sa provenance, cela vire au cauchemar pour les
commerçants. Avec un nombre croissant d'accords bilatéraux, une
situation déjà difficile pourrait considérablement se
détériorer.
La plupart des accords régionaux en vigueur auxquels les pays en
développement participent n'offrent pas non plus d'option
comparable au système commercial multilatéral, car le niveau des
échanges intrarégionaux est encore faible. Le commerce africain
intrarégional, malgré sa croissance, ne représente que 10% environ
des exportations totales. La situation n'est pas meilleure dans les
autres régions en développement, avec des structures d'exportation
similaires qui ne facilitent pas les échanges. À l'inverse, dans
l'Union européenne, le commerce intrarégional dépasse 60%, ce qui
présente, au moins provisoirement, des possibilités plus réalistes
pour les pays membres.
Reprendre les négociations
En conséquence du choc de Cancún, le secteur des affaires des
pays en développement a compris qu'il n'y pas de solution viable en
dehors du système de l'OMC. Ces milieux font pression sur leurs
gouvernements pour qu'ils retournent à la table de négociations.
Ils comprennent que, pour les concessions commerciales qu'on leur
accorde, ils doivent faire des concessions en retour. Comme le
remarquait un expert africain lors d'un forum en ligne à la suite
de la rencontre de Cancún, «l'OMC n'est pas une Église ou une œuvre
de charité. C'est un marché, et le principe quid pro quo
(donnant, donnant) s'applique. Les pays en développement doivent
être prêts à donner quelque chose s'ils veulent obtenir ce qu'ils
désirent.» Les milieux économiques des pays en développement sont
prêts à payer le prix pour assurer et promouvoir leurs
intérêts.
La défense des intérêts des entreprises après Cancún
Les organisations de commerce devraient mesurer les conséquences
de Cancún et discuter avec leurs gouvernements de la politique à
suivre pour résoudre les problèmes liés au commerce. Dans la
plupart des économies en développement et en transition, ces
milieux sont favorables à la reprise des négociations sur
l'agriculture, l'accès aux marchés pour les produits non agricoles,
le commerce des services, et le traitement spécial et différencié.
Les dirigeants proposent d'entamer des négociations sur une ou deux
des «questions de Singapour», notamment la facilitation des
échanges commerciaux et/ou la transparence dans les marchés
publics.
C'est le devoir des organisations de commerce de rendre les
stratèges gouvernementaux attentifs aux conséquences de retards.
Elles devraient également être prêtes à élaborer des solutions de
rechange pour les problèmes commerciaux, en déterminant les effets
à court et long termes d'initiatives bilatérales, régionales et
multilatérales.
Après Cancún, les milieux d'affaires savent que les négociations
du Programme de Doha pour le développement auront des incidences
non seulement sur les obstacles commerciaux spécifiques, mais aussi
sur le futur du système commercial dans son ensemble.
Les préoccupations des milieux d'affaires avant
Cancún
Entre janvier et août 2003, le CCI a organisé une série de
rencontres régionales appelées «Business for Cancún», destinées aux
cadres d'affaires et aux négociateurs commerciaux, en vue de
préparer la Conférence ministérielle. Voici quelques-unes des
préoccupations évoquées par les hommes d'affaires participant à ces
réunions.
- Les exportations agricoles sont entravées par les subsides, les
tarifs élevés, les contingents et les mesures sanitaires et
phytosanitaires des pays développés (toutes les régions).
- La production agricole nationale nécessite une protection
accrue (Caraïbes).
- La progression des tarifs et l'érosion des préférences
tarifaires dans les pays industrialisés sont source d'inquiétude
(plusieurs régions).
- L'intégration des textiles et vêtements à l'OMC ne garantit pas
automatiquement un degré beaucoup plus élevé de libéralisation
commerciale (Asie).
- Les pays industrialisés devraient ouvrir leur secteur des
services, notamment la banque et l'assurance (Caraïbes).
- Plus d'attention devrait être accordée aux négociations sur la
libre circulation des personnes selon le mode 4 relatif à la
fourniture de services dans le cadre de l'AGCS (plusieurs
régions).
Les préoccupations des milieux d'affaires après
Cancún
Les commentaires émis lors du forum de discussion final en
ligne, dans le cadre de «Business for Cancún», qui eut lieu après
la Conférence ministérielle, en octobre 2003, ont révélé que les
milieux économiques désirent continuer les pourparlers commerciaux
afin de faire entendre leur voix.
- «Il serait préférable de reprendre les négociations de Doha
aussi vite que possible.» Un participant d'Haïti
- «Les accords régionaux et bilatéraux sont peut-être une excuse
pour remplacer l'OMC mais, en réalité, c'est impossible. Toutefois,
les pays n'ont pas d'autre choix que d'essayer.» Un participant
de la Thaïlande
- «Le secteur privé n'a pas de reconnaissance formelle au sein de
l'OMC. C'est pourquoi les questions intéressant les milieux
économiques continuent d'être méprisées, à l'avantage de celles
liées à la politique.» Un participant de la Jamaïque
- «Les problèmes qui ont surgi à Cancún mettent en évidence la
nécessité de consultations commerciales sérieuses.» Un
participant du Zimbabwe
- «Je suis déçu des résultats de Cancún. Mes préoccupations
spécifiques et immédiates concernent la continuation des réductions
tarifaires sur les importations agricoles.» Un participant de
la Thaïlande
- «Du point de vue de la capacité, avec le calendrier actuel,
nous ne pourrions pas gérer les questions de Singapour.» Un
participant de la Jamaïque
- «Les gouvernements vont chercher des solutions bilatérales pour
s'orienter vers le multilatéralisme.» Un participant du
Pakistan
Pour plus d'information, veuillez contacter Peter Naray (naray@intracen.org),
Conseiller principal en système commercialmultilatéral,
CCI.